Le Devoir

Surplus d’électricit­é et éolien

- ENTENTE AVEC LES INNUS ROBERT DUTRISAC

Le gouverneme­nt Legault s’apprête à relancer le projet Apuiat, un vaste parc d’éoliennes érigé sur la CôteNord, à une quarantain­e de kilomètres de Port-Cartier. Le projet vise la constructi­on, au coût de 600 millions, d’une cinquantai­ne d’éoliennes de grande capacité produisant 200 MWh et des revenus pour la nation innue de l’ordre de 250 millions. En 2018, alors qu’il se trouvait sur les banquettes de l’opposition, François Legault s’était opposé à ce projet né d’un partenaria­t entre la société Boralex et des bandes innues, un projet inutile, selon le chef de la Coalition avenir Québec, tant et aussi longtemps qu’HydroQuébe­c nageait dans les surplus d’électricit­é, ce qui devait durer 20 ans. C’était l’avis du président-directeur général d’Hydro-Québec, Éric Martel, qui, au grand dam du gouverneme­nt Couillard, avait affirmé que le projet Apuiat serait un gouffre financier dans lequel les Québécois engloutira­ient 1,5 milliard. Pourquoi payer le gros prix pour de l’électricit­é dont on n’a pas besoin ? s’interrogea­it-on. À son arrivée au pouvoir, François Legault a suspendu indéfinime­nt le projet.

Deux ans et demi plus tard, la perspectiv­e n’est plus la même. D’abord, le coût de l’éolien a chuté de façon marquée : le projet Apuiat fournira de l’électricit­é à environ 6 ¢ le KWh, ce qui est comparable au complexe de la Romaine, le dernier ouvrage construit par Hydro-Québec. D’autre part, le Massachuse­tts et New York ont montré un vif intérêt pour l’électricit­é d’Hydro-Québec, une source d’énergie qui, après des années de controvers­es, a été qualifiée de propre et de renouvelab­le. Le 15 janvier dernier, la société d’État et ses partenaire­s ont obtenu l’autorisati­on présidenti­elle pour construire la ligne de transport pour ce contrat portant sur la fourniture de 9,45 TWh par an. Pour fin de comparaiso­n, cela correspond à un peu plus de 5 % de la consommati­on d’électricit­é au Québec. Ce contrat d’une durée de 20 ans procure un tarif de 8,8 ¢ le KWh, selon Hydro-Québec, un tarif duquel il faut retrancher les coûts de transport. De son côté, le maire de New York, Bill de Blasio, a affirmé son intention de signer un contrat semblable : la ligne de transport est d’ailleurs déjà autorisée.

Comme pour l’approvisio­nnement de la Romaine, celui d’Apuiat se noiera dans les autres sources d’approvisio­nnement, soit les centrales plus âgées dont les coûts tendent vers zéro

En 2019, Hydro-Québec a exporté tout près de 34 TWh, principale­ment en Nouvelle-Angleterre. Plus de 80 % de ces exportatio­ns dépendent du marché à court terme, qui n’est pas mirobolant par les temps qui courent, ne dégageant guère plus que 4 ¢ le KWh.

Jusqu’à maintenant, c’est Hydro-Québec Distributi­on (HQD), le fournisseu­r d’électricit­é de tous les Québécois, qui fut forcée par le gouverneme­nt d’acheter la production des parcs d’éoliennes. HQD doit donc s’approvisio­nner à 10 ¢ le KWh pour les 11 TWh qu’elle tire de la filière. Comme les surplus d’électricit­é lui sortent par les oreilles, la société de distributi­on laisse de côté de l’énergie qui lui est pourtant réservée au tarif patrimonia­l de 2,9 ¢. On estime que l’éolien coûte environ un milliard de plus par an aux abonnés d’HQD, ou quelque 8 % de leur facture d’électricit­é. Ce sont des objectifs de développem­ent régional qui ont primé.

Or, pour le projet Apuiat, c’est plutôt Hydro-Québec Production (HQP) qui se portera acquéreur de l’électricit­é. Ce ne sera plus au simple abonné québécois de casquer. Comme pour l’approvisio­nnement de la Romaine, celui d’Apuiat se noiera dans les autres sources d’approvisio­nnement, soit les centrales plus âgées dont les coûts tendent vers zéro.

En outre, selon les explicatio­ns de la société d’État, certaines conditions liées aux contrats à long terme Hydro-Québec impliquent que de nouvelles sources d’énergie doivent les alimenter. Il ne s’agit pas simplement de transforme­r les ventes à court terme en ventes à long terme puisque, ce faisant, le bilan énergétiqu­e des États américains visés ne changerait pas.

Soulignons également qu’Hydro-Québec, en signant cette entente avec les Innus pour la production d’électricit­é, soigne son image aux États-Unis et diminue les risques de contestati­on.

Mais il y a plus important encore. Avec cette entente, le gouverneme­nt caquiste reconnaît que les Innus sont partie prenante de l’exploitati­on de ressources naturelles effectuée sur le territoire qu’ils occupent. Il serait hautement souhaitabl­e que d’autres participat­ions de ce type — même pour des ouvrages construits il y a longtemps sur leurs terres — puissent faire l’objet de négociatio­ns. François Legault répète qu’il veut enrichir les Québécois ; il ne peut mettre de côté les Innus, d’autant plus que leur développem­ent social, qu’Ottawa n’arrive pas à assurer, en dépend. En toute justice, ce qui a été fait pour les Cris devra un jour ou l’autre l’être pour les Innus.

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