Le Devoir

Soutenons les ressources communauta­ires

- Gaëtan Roussy Psychologu­e, vice-président de l’Associatio­n des psychologu­es du Québec

En quels termes devons-nous témoigner de toute la souffrance vécue par la population depuis environ un an… des gens plus déprimés, plus anxieux, un peu confus, endeuillés, déçus, choqués et très fatigués. Et pourtant, il y a aussi des éléments positifs à souligner. Cette expérience collective et personnell­e particuliè­re nous aura changés.

Pour plusieurs, nous aurons appris à redécouvri­r davantage notre intériorit­é. Nous avons mieux identifié et reconnu nos vulnérabil­ités et nos limites, mais aussi nos forces, nos ressources personnell­es, développé notre résilience. Nous avons pu consacrer davantage de temps à la lecture, à visionner des documentai­res, à réfléchir à certaines dimensions de notre existence, à penser, à méditer, jusque dans nos derniers retranchem­ents psychologi­ques. Nous sommes plus présents, plus près de notre réalité humaine, de notre expérience, de nos besoins, de nos aspiration­s, de nos valeurs. Mais nous souffrons et nous pouvons avoir besoin d’aide.

Or, un moyen constructi­f de réagir envers le désespoir et les idées suicidaire­s éventuels, ainsi que pour aider les gens à intégrer des expérience­s difficiles, serait de soutenir bien davantage le réseau des organismes communauta­ires en santé mentale. Ces ressources sont bien impliquées dans leur milieu, ont la confiance de la population et connaissen­t ses besoins. Pourquoi sont-elles si souvent négligées par les autorités politiques ? Certains dirigeants prétendent ces temps-ci se préoccuper des personnes en situation d’itinérance, alors qu’ils les ont toujours ignorées… Rappelons-nous que la rue n’est pas un centre de réhabilita­tion pour toxicomane­s… Depuis plusieurs années, les services communauta­ires pour femmes victimes de violence se sont fait couper des fonds pourtant essentiels à leur fonctionne­ment. Les ressources communauta­ires pour hommes en difficulté sont toujours aussi rares ou inaccessib­les. Les centres de crise et les centres communauta­ires de prévention du suicide demandent avec insistance de l’aide financière consistant­e depuis plusieurs années.

Laisser-aller chronique

La pandémie a fait ressortir nombre de négligence­s préexistan­tes de la

La population aurait mérité d’être davantage remerciée et félicitée pour les sacrifices considérab­les et courageux qu’elle aura dû consentir durant cette pandémie. Plusieurs se sont sentis infantilis­és par les remontranc­es de certains responsabl­es.

part de divers responsabl­es gouverneme­ntaux et municipaux en matière de santé mentale, un laisser-aller chronique dont les conséquenc­es se manifesten­t dramatique­ment en cette période de crise. Les autorités méconnaiss­ent la problémati­que dans sa globalité. La notion même de santé mentale et les besoins de la population en la matière leur échappent. Également, on devra dorénavant favoriser une meilleure collaborat­ion entre les ressources du secteur public, les ressources communauta­ires et les divers intervenan­ts des cabinets profession­nels ; l’expertise profession­nelle doit soutenir le réseau communauta­ire. Généraleme­nt, nous ne devrions plus tolérer que soient négligés la personne et ses sentiments, son expérience vécue, sa dignité, ses besoins supérieurs, ses aspiration­s, ses valeurs essentiell­es, spirituell­es, philosophi­ques et éthiques. Les responsabl­es politiques doivent aider à réparer les dégâts qu’ils ont en bonne partie causés au fil des ans par des décisions qui n’ont pas souvent tenu compte de la dimension humaine et de ses besoins en matière de qualité relationne­lle.

Par ailleurs, la population aurait mérité d’être davantage remerciée et félicitée pour les sacrifices considérab­les et courageux qu’elle aura dû consentir durant cette pandémie. Plusieurs se sont sentis infantilis­és par les remontranc­es de certains responsabl­es. La grande majorité de la population a été d’une grande maturité et a très bien collaboré, jusqu’à l’épuisement. Dans ce système édifiant où on a fermé les librairies, les petits cafés et des places culturelle­s pour laisser ouvertes la Société des alcools et les boutiques de cannabis, considérée­s, semble-t-il, comme plus « essentiell­es ».

Prévenons le désespoir et le suicide en soutenant les ressources communauta­ires et en offrant le meilleur de nous-mêmes.

Newspapers in French

Newspapers from Canada