Le Devoir

Le SPVM sous le feu des critiques

Le service de police se défend d’avoir bâclé son enquête après le retrait des accusation­s portées contre Mamadi III Fara Camara

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ

Critiqué de toutes parts, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a défendu jeudi le travail d’enquête qui a mené au dépôt d’accusation­s graves contre un citoyen finalement victime d’une erreur sur la personne. Le dossier est d’une « complexité exceptionn­elle », fait valoir le SPVM. Mais les appels se multiplien­t pour qu’une enquête indépendan­te fasse la lumière sur les événements.

« Nos enquêteurs ont agi avec diligence et profession­nalisme dans cette histoire », a soutenu le directeur du SPVM, Sylvain Caron, lors d’un point de presse tenu en fin de journée.

Il a évoqué une « situation exceptionn­elle » qui a eu des « conséquenc­es très regrettabl­es » pour Mamadi III Fara Camara. Mais il n’est pas question de s’excuser tout de suite auprès du Montréalai­s de 31 ans qui a passé six jours en prison après avoir été accusé à tort de tentative de meurtre contre un policier.

« Pour le moment, on le considère comme un témoin important » des incidents survenus le 28 janvier dans Parc-Extension, a indiqué M. Caron. Si la suite de l’enquête le disculpe complèteme­nt, « le SPVM n’hésitera pas à s’excuser auprès de M. Camara »… mais cela en « temps opportun ».

Le message que j’envoie, c’est que cet homme est innocent. Il faut le répéter »

haut et fort, parce qu’il y a eu erreur sur la personne. VALÉRIE PLANTE

À cet égard, le ton de M. Caron tranchait d’avec celui employé plus tôt dans la journée par la mairesse de Montréal, Valérie Plante. « Le message que j’envoie, a-t-elle dit, c’est que cet homme est innocent. Il faut le répéter haut et fort, parce qu’il y a eu erreur sur la personne. »

« Il faut être prudent avant d’accuser un citoyen, et aussi avant de le disculper, a répliqué Sylvain Caron. C’est ce que nous faisons. Nous sommes prudents et ne procédons à aucun jugement hâtif. »

Trop rapide ?

Mais justement : le SPVM — et le Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP) — n’ont-ils pas agi trop vite en déposant si tôt quatre accusation­s

contre M. Camara, cela au début d’une enquête apparemmen­t très complexe ? Puisque la preuve était circonstan­cielle (le SPVM attend d’ailleurs toujours des expertises de sang et d’ADN), la prudence n’aurait-elle pas dicté autre chose ?

« Nous, réellement, on persiste à dire qu’on a eu une rigueur, a répondu à TVA en mi-journée David Bertrand, inspecteur aux crimes majeurs au SPVM. On n’a lésiné sur aucun effort pour faire la lumière sur cet événement. »

Au bureau du DPCP, on rappelait jeudi que la décision de déposer des accusation­s contre une personne est basée sur le travail d’enquête des policiers. La preuve amenée sert « à déterminer si on a une perspectiv­e raisonnabl­e de condamnati­on, ou pas, indique la porte-parole, Audrey RoyCloutie­r. Et cette conviction [qu’une condamnati­on serait possible], on doit la maintenir tout au long des procédures » et des nouveaux éléments de preuve qui surgissent.

À Québec, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a affirmé jeudi que le DPCP « a agi selon tous les plus hauts standards ». « Je peux vous assurer qu’au moment où le DPCP a su qu’il y avait d’autres informatio­ns, il y a eu un arrêt des procédures. Donc, les policiers ont fait leur travail. Le DPCP [aussi] ».

Nouvelle analyse

Le SPVM a expliqué jeudi que son enquête n’a jamais cessé, même après la mise en accusation de M. Camara. « C’est en revérifian­t les preuves que

nous en sommes venus à demander au DPCP de reconsidér­er les accusation­s » qui avaient été déposées contre M. Camara, a indiqué M. Caron.

C’est une nouvelle analyse d’une vidéo « un peu floue » d’une caméra de surveillan­ce du ministère des Transports qui a sauvé Mamadi III Fara Camara d’une situation qui aurait pu durer des mois, voire plus.

Cette vidéo avait pourtant été visionnée dès l’ouverture de l’enquête. Mais il a fallu le regard de l’équipe des crimes majeurs du SPVM pour qu’elle révèle que M. Camara n’était visiblemen­t pas celui qui a attaqué de dos le policier qui venait de l’arrêter pour avoir manipulé un cellulaire au volant.

À ce sujet, le SPVM soutient que « les images vidéo à l’étude ne sont pas à elles seules disculpato­ires. À l’heure actuelle, la combinaiso­n de tous les éléments de preuve nous permet d’envisager la présence d’une personne additionne­lle sur la scène de l’événement, le soir du crime ».

Cette troisième personne serait l’agresseur du policier, et le suspect principal de l’affaire. Elle court toujours — potentiell­ement avec l’arme dérobée au policier blessé. M. Camara, lui, clamait son innocence depuis le départ.

Une enquête indépendan­te

L’histoire vécue par Mamadi III Fara Camara a ébranlé de nombreux élus. « Je pense à cette personne qui a été arrêtée, qui a été détenue pendant plusieurs jours, je pense à sa femme enceinte de jumeaux, puis je me dis : c’est épouvantab­le », a notamment dit la cheffe de l’opposition officielle à Québec, Dominique Anglade. « C’est une situation inacceptab­le », a ajouté Valérie Plante. Les deux estiment que « la question [de savoir si M. Camara a pu être victime de profilage racial] se pose ».

Et même s’il manque des éléments pour bien comprendre le fil des événements, ce qui est déjà connu est suffisant pour justifier la tenue d’une enquête indépendan­te, disent-elles. Mme Plante a demandé une « enquête neutre qui [soit faite] rapidement », et

Avec Guillaume Bourgault Côté, Jeanne Corriveau et Marco Bélair-Cirino qui serait surtout faite « à l’extérieur du SPVM et du DPCP ».

À Québec, les trois partis d’opposition ont pour leur part réclamé que le Bureau des enquêtes indépendan­tes (BEI) fasse la lumière sur les événements. « C’est une avenue qui est explorée actuelleme­nt », a répondu Simon Jolin-Barrette.

La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a quant à elle écrit que « les circonstan­ces ayant conduit à la mise en accusation de Mamadi Fara Camara doivent être examinées. Nous travaillon­s avec la Ville de Montréal sur la formule la plus optimale, tout en respectant l’enquête du SPVM, qui est toujours en cours. »

Jeudi, Sylvain Caron a pris soin de souligner qu’il n’était pas chaud à l’idée d’une enquête sur une enquête en cours. Mais il s’est dit ouvert à ce qu’un « observateu­r indépendan­t vienne voir le travail effectué par les enquêteurs ».

Je pense à cette personne qui a été arrêtée, qui a été détenue pendant plusieurs jours, je pense à sa femme enceinte de jumeaux, puis je me dis : » c’est épouvantab­le DOMINIQUE ANGLADE

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