Le Devoir

Schisme à la table des négociatio­ns

Les centres de services et les commission­s scolaires sont exclus des pourparler­s avec les enseignant­s

- MARCO FORTIER

Des tensions viennent d’éclater au sein de la partie patronale à la table de négociatio­n avec les enseignant­s du Québec. Selon ce que Le Devoir a appris, le Conseil du trésor a exclu de la table de négociatio­n les gestionnai­res des centres de services scolaires, qui sont « sans mots » devant ce rejet, en tant qu’employeurs du personnel enseignant.

Cette crise du côté patronal survient tandis que le gouverneme­nt Legault souhaite accélérer les négociatio­ns en vue d’arriver à une entente avec les enseignant­s du préscolair­e, du primaire et du secondaire. Nos sources confirment que la présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, a invité il y a deux jours les représenta­nts syndicaux des enseignant­s à une table de négociatio­n « rehaussée ».

Cette nouvelle formule de négociatio­n exclut les gestionnai­res des centres de services, qui digèrent mal d’être mis de côté. « Nous connaisson­s mieux que le Secrétaria­t du Conseil du trésor les problèmes vécus sur le terrain par les enseignant­s et les difficulté­s d’applicatio­n des convention­s collective­s rencontrée­s par les directions d’établissem­ent », affirme une source du réseau scolaire anglophone.

« Les conditions de travail des enseignant­s et la réussite des élèves sont étroitemen­t liées et ne peuvent être discutées sans la présence du réseau scolaire », ajoute-t-on. Des sources craignent que les prochaines négociatio­ns soient centralisé­es

On est au 40e kilomètre d’un marathon et on nous dit : “On arrête et on ne passe »

pas le fil d’arrivée” CAROLINE DUPRÉ

au gouverneme­nt, sans l’apport des centres de services, ce qui serait « désastreux pour le réseau scolaire, les organisati­ons syndicales et l’école publique en général ».

Caroline Dupré, présidente-directrice générale de la Fédération des centres de services scolaires (FCSSQ), confirme être « sans mots » devant l’exclusion de son équipe à la table patronale de négociatio­n. « On est au 40e kilomètre d’un marathon et on nous dit : “On arrête et on ne passe pas le fil d’arrivée” », affirme-t-elle.

Les centres de services francophon­es et les commission­s scolaires anglophone­s ont alerté au cours des derniers jours la ministre Sonia LeBel, présidente du Secrétaria­t du Conseil du trésor, ainsi que le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge. Leurs démarches sont restées sans réponse. Le cabinet du ministre Roberge a refusé de faire des commentair­es. Et au moment où ces lignes étaient écrites, le bureau de la ministre LeBel avait indiqué au Devoir souhaiter une entente le plus rapidement possible, sans autre précision.

L’exclusion des représenta­nts scolaires va à l’encontre de la Loi sur le régime de négociatio­n des convention­s collective­s dans les secteurs public et parapublic, soulignent l’ACSAQ et la FCSSQ.

Droits de la minorité anglophone

Les commission­s scolaires anglophone­s, dont les relations avec le gouverneme­nt Legault sont déjà tendues, font valoir un autre argument : elles affirment que leur présence à la table de négociatio­n est justifiée par leurs droits constituti­onnels à gérer leurs écoles en tant que minorité linguistiq­ue.

Les négociatio­ns portent notamment sur le recrutemen­t d’enseignant­s. Or, « le recrutemen­t et l’affection de personnel, notamment des professeur­s, sont parmi les pouvoirs exclusifs d’une commission scolaire minoritair­e, tels que reconnus par la Cour suprême [dans l’affaire Mahé] », écrit Dan Lamoureux, président de l’Associatio­n des commission­s scolaires anglophone­s du Québec (ACSAQ), dans une lettre à la ministre Sonia LeBel datée du 2 février 2021, dont Le Devoir a obtenue copie.

Le représenta­nt des commission­s scolaires anglophone­s rappelle que de nombreux besoins de la communauté (liés à la petite taille de sa population, à la très grande taille des territoire­s de ses commission­s scolaires et à ses priorités pédagogiqu­es particuliè­res) sont directemen­t liés aux conditions de travail des professeur­s.

« Exclure la participat­ion d’un représenta­nt de l’ACSAQ dans les négociatio­ns relatives aux convention­s collective­s du personnel enseignant, sans prévoir d’autre mécanisme efficace pour tenir compte des besoins particulie­rs de la communauté anglophone et du pouvoir de gestion et de contrôle de ses représenta­nts, ne serait pas conforme à l’article 23 de la Charte et aux enseigneme­nts de la Cour suprême », écrit Dan Lamoureux.

Selon nos informatio­ns, le Conseil du trésor a offert aux centres de services francophon­es et aux commission­s scolaires anglophone­s un rôle de conseiller­s en marge des négociatio­ns. Ceux-ci ont rejeté l’offre : « Ce n’est pas comme être assis autour de la table de négociatio­n », dit Caroline Dupré, de la FCSSQ.

Éviter la grève

Ce schisme au sein du comité de négociatio­n patronal survient au moment où le gouverneme­nt tente d’accélérer les discussion­s. La Fédération des syndicats de l’enseigneme­nt (FSE-CSQ, qui représente 73 000 professeur­s) indique avoir accepté la formule de négociatio­n proposée par le gouverneme­nt. Au moment où ces lignes étaient écrites, la Fédération autonome de l’enseigneme­nt (FAE, 49 000 membres) se penchait sur l’invitation du gouverneme­nt.

La FSE a obtenu de ses membres le mandat de tenir cinq jours de grève, tandis que la FAE débat dans ses instances du recours éventuel à tous les moyens à sa dispositio­n, y compris la grève générale illimitée. Les chefs syndicaux ont fait savoir qu’ils excluent pour l’instant de recourir à la grève. Ils cherchent d’abord à inciter le gouverneme­nt Legault à bonifier ses offres.

Nos sources indiquent que les pourparler­s porteront notamment sur la tâche enseignant­e ainsi que sur le nombre d’élèves par classe, l’insertion profession­nelle, les services aux élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentiss­age et certaines échelles de traitement.

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