Le Devoir

Coeur d’artichaut, la chronique de Josée Blanchette

Le (pas si) nouveau désordre amoureux des applis de rencontres

- JOSÉE BLANCHETTE cherejoblo@ledevoir.com Instagram : josee.blanchette

Est-ce qu’un algorithme peut avoir le palpitant coincé ou crinqué ? En tout cas, ils ont tous un coeur d’artichaut, plutôt volage. Sans surprise, les applis de rencontres sont très sollicitée­s en ce moment, et encore davantage depuis le couvre-feu. Quel passe-temps réconforta­nt après 20 h, seul.e ou pas, sage ou sulfureux, que d’éplucher un catalogue de Ken et de bikinis, d’hésiter sur Tinder entre Neil « masseur de yoni entraîné » — vous irez googler yoni dans la section tantrique indienne — et Chris qui jure être propre de sa personne (deux douches par jour), ne pas se fouiller dans le nez ni se prendre « le paquet à tout moment ». Dieu que c’est divertissa­nt d’afficher autant de détails intimes en toute candeur.

Il y a du pire et du meilleur, certes, mais, comme l’écrivait en novembre dernier Maïa Mazaurette, chroniqueu­se sexe dans le journal français Le Monde sous le titre « Et si on arrêtait de dire du mal des applis de rencontres » : « Après une bonne journée de boulot, pourquoi ne pas s’en aller flâner sur Tinder ? […] Et même si ça ne fonctionna­it jamais ? On peut aimer les applis de rencontres pour d’autres raisons (c’est mon cas). »

Du lèche-vitrines alors que les commerces sont encore fermés ? Why not coconut ? C’est à la fois démocratiq­ue et hygiénique. Ça ne coûte rien et, au pire, on risque une tindernite du pouce. Et Maïa de poursuivre : « Certains font du coloriage ou comptent des moutons pour s’endormir. Moi, je compte les abdominaux des Parisiens. Parfois, je m’endors. »

Cela dit, pour les célibatair­es qui veulent vraiment rencontrer, l’exercice demeure plus difficile pour les hommes que pour les femmes. C’était vrai avant la pandémie, ce l’est encore et peutêtre davantage maintenant. « Les filles sont vraiment picky en ce moment, elles sont TRÈS sollicitée­s », me confirme un jeune ami dans la trentaine, inscrit à Tinder, Bumble et Hinge. « Il y a beaucoup de nouveaux abonnés et il y a du choix. Sans compter les mesures de couvre-feu qui rendent les gens plus prudents. On pose des questions avant d’aller prendre une marche. »

Entre ces êtres « simples » qui veulent une relation « pas compliquée » et qui affirment sérieuseme­nt « j’aime rire », le destin offrira peut-être la fameuse « chimie » tant recherchée et les papillons qui sont condamnés à l’état de chenilles depuis bientôt un an.

Trouble d’attachemen­t collectif

Mais il y a tant de choix pour papillonne­r, justement.

« La culture de rencontre à faible responsabi­lité crée et perpétue un trouble collectif d’attachemen­t », affirmait récemment la psychologu­e américaine Alexandra H. Solomon sur Instagram. Effectivem­ent, on matche, on échange virtuellem­ent et, parfois, on disparaît ou on ghoste avant ou après rencontre.

La perte de repères et de sécurité affective peut s’avérer troublante et anxiogène. L’univers du dating est un vaste catalogue à ciel ouvert (avant 20 h). Et après, ça dépend d’eux…

Ce qui me frappe le plus chez les hommes à qui je rends visite virtuellem­ent via ces applicatio­ns ? Jeunes ou vieux (surtout plus vieux), la lueur de tristesse dans les regards. Ton passé a beau être réglé, si tu commences ta bio par « Divorcé », il y a du boulot derrière.

« Je constate un décalage entre les hommes de plus de 50 ans et les femmes du même âge », affirme AnneMarie Lefebvre, fondatrice de RencontreS­portive.com, dont la moyenne d’âge des 75 000 membres est de 48 ans.

« Les hommes quinquas sont moins dynamiques, font moins d’activités, ont moins de projets et pas de réseau social. Ils attendent beaucoup d’une blonde. Les filles ont du fun, un réseau amical, des groupes de sport, et elles ont le choix. Et je constate que bien des femmes plus vieilles ne veulent plus être en couple. Veuves ou divorcées, elles s’amusent et sont occupées. » Disons que la perspectiv­e de faire du Netflix à deux n’est pas un argument qui incite à franchir le pas.

Chez Rencontre Sportive, Anne-Marie Lefebvreco­mp te une clientèle plutôt équilibrée, avec 47% de femmes et une augmentati­on de 40 % des membres payants depuis le début de la pandémie : « Il y a un sentiment d’urgence de vivre dans le contexte actuel. Un peu comme après le 11 Septembre. »

Chez toi ou chez moi ?

Le couvre-feu a-t-il modifié les comporteme­nts du dating ? Un sondage auprès des membres de RencontreS­portive (fin janvier) nous apprend qu’on n’échange pas davantage de messages érotiques chez 77 % des membres, mais que le couvre-feu a un effet négatif sur le désir de rencontrer quelqu’un en personne pour 61 % d’entre eux. Les critères de sélection sont aussi plus stricts pour le tiers des participan­ts.

« Le dating se poursuit, croit la fondatrice. L’envie de rencontrer est boostée depuis le début de la pandémie. Et quand on rencontre, on a envie de vivre de l’intimité. Ce n’est pas vrai qu’on va mettre un masque pour s’embrasser… Le couvre-feu peut aussi inciter les gens à coucher plus vite ensemble dans la relation, mais 97 % des premières rencontres se font à l’extérieur. »

Dans une chorégraph­ie de séduction où la plus grande marque d’attachemen­t consiste à supprimer son compte Tinder, l’impatience est parfois un peu trop vive.

Après une nuit (pré-couvre-feu) chez une célibatair­e très motivée, un ami me rapporte avoir reçu un message le lendemain concernant sa présence louche sur une applicatio­n où ils ne s’étaient pas rencontrés. « C’est quoi, ça ?! »

La fille l’a bloqué partout. Même dans son coeur. Délit de haute trahison. On peut se demander ce qu’elle y faisait elle aussi.

Le gars n’a pas eu le temps de reprendre son souffle, il aurait dû être en train de magasiner un vélo tandem pour sa Valentine d’une nuit, voire de choisir un prénom pour leur premier marmot. Ouf !

Quant au beau barbu avec qui j’ai fait une marche « Tinder » la semaine dernière (oui, chéri, je t’explique tout ce soir, j’avais juste oublié !), désolée de ne pas avoir donné suite. Merci pour l’appli de yoga, mais, comment dire, tu ressembles trop à mon mec, j’ai besoin d’exotisme. Rien de personnel, je ne suis pas raciste, j’aime les barbus tatoués, vive la France, sans rancune.

En temps normal, j’aurais décrété : « Tais-toi et embrasse-moi plutôt », mais à deux mètres… que dire de plus ? Arrivederc­i Roma ?

Véganes, polyamoure­ux et personnes sexe-positives » reçoivent un traitement préférenti­el BIO DE MEGHAN, LESBIENNE, BISEXUELLE ET QUEER

Personne ne peut venir se plaindre (« pourquoi tu ne m’as » pas swipé ? »). Et on n’a de comptes à rendre à personne. MAÏA MAZAURETTE

Si pour toi, ça et sa, cé la même chose, » je ne pense pas qu’on va pouvoir s’entendre BIO DE MARC

Cet article est approuvé par la Santé pudique du Québec.

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Rencontres virtuelles ou en chair et en os, le besoin de contact intime n’a pas diminué avec la pandémie, au contraire.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR CORONAVIRU­S Rencontres virtuelles ou en chair et en os, le besoin de contact intime n’a pas diminué avec la pandémie, au contraire.
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