Le Devoir

UN TRAVAIL D’AMATEURS, L’ÉDITORIAL DE BRIAN MYLES

- BRIAN MYLES

C’est une erreur sur la personne qui aurait pu envoyer une innocente victime, Mamadi III Fara Camara, derrière les barreaux pour de longues années. Et pourtant le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, hésite toujours avant de déclencher une enquête indépendan­te sur cette bavure policière, comme le réclament les partis d’opposition et la mairesse de Montréal, Valérie Plante. Le silence ahurissant du Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP) et les justificat­ions invraisemb­lables du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) laissent entrevoir que cette histoire empeste l’incompéten­ce. Le ministre de la Justice aurait intérêt à sortir de sa bulle, et à décréter la tenue d’une enquête indépendan­te au lieu de défendre la prétendue « diligence » du DPCP dans cette affaire d’une bêtise monumental­e.

Reprenons les faits. Camara a été arrêté le 28 janvier pour un contrôle routier. Quelques minutes plus tard, le policier qui lui a remis un constat d’infraction pour usage du cellulaire au volant a été sauvagemen­t attaqué par-derrière à coups de barre de fer et désarmé. Il a dû fuir pour sa vie quand le suspect a ouvert le feu sur lui à deux prises. Demeuré sur les lieux, Camara a été considéré comme le principal suspect même s’il a appelé le 911, ce qui est tout à fait compréhens­ible compte tenu des circonstan­ces bizarres de cette affaire.

Arrêté et interrogé, Camara était inculpé le lendemain de quatre accusation­s, dont celle de tentative de meurtre, et mis en détention préventive. Six jours plus tard, la Couronne annonçait l’arrêt des procédures en raison d’une erreur sur la personne. Un enquêteur perspicace a visionné attentivem­ent une vidéo de surveillan­ce des caméras du ministère des Transports pour comprendre qu’un suspect potentiel, non identifié et toujours en fuite, serait l’agresseur du policier. La sale affaire.

Le directeur du SPVM, Sylvain Caron, évoque une affaire d’une « complexité exceptionn­elle », sans dissiper le malentendu. Si l’affaire était si complexe, pourquoi les policiers se sont-ils contentés d’une preuve d’identifica­tion discutable et circonstan­cielle dans leur enquête ? Pourquoi le DPCP a-t-il autorisé si rapidement le dépôt d’accusation­s sans exiger des complément­s d’enquête ? Où sont les tests d’ADN ? Les tests pour vérifier si Camara avait des résidus de poudre à canon sur lui ? Comment expliquer que les vidéos disculpant­es ont été ignorées aux premières heures de l’enquête ?

Moins de 24 heures pour foutre en l’air la vie de Camara au terme d’une enquête menée dans l’émoi (un policier était la victime d’un crime horrible). À titre indicatif, le BEI met en moyenne près de 10 mois à boucler ses propres enquêtes lorsqu’un policier est mis en cause en cas de décès, blessures graves ou agressions sexuelles sur des civils.

Cette disparité de traitement est dérangeant­e. Elle concerne tout autant le SPVM que le DPCP. Les policiers doivent avoir des motifs raisonnabl­es et probables de croire qu’une infraction a été commise avant de remettre leur rapport. La Couronne doit avoir la certitude morale d’obtenir une condamnati­on hors de tout doute raisonnabl­e avant d’autoriser des accusation­s.

Ce double verrou, visant à éviter la condamnati­on injuste des innocents, a sauté dans l’affaire Camara. Seule une enquête indépendan­te nous permettra de savoir pourquoi tant de hâte a failli anéantir sa vie et ses rêves.

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