Le Devoir

Les dangers d’ouvrir l’aide médicale à mourir à des cas de troubles mentaux

- PROJET DE LOI C-7 Bertrand Major, Pierre R. Gagnon, Dr Joel Paris, François Rousseau et Jean-Marie Albert Respective­ment psychiatre ; psychiatre spécialisé en psycho-oncologie ; professeur émérite de psychiatri­e ; psychiatre spécialisé en gérontopsy­chiatr

Les débats entourant le projet de loi C-7 (modifiant le Code criminel pour permettre un plus grand accès à l’aide médicale à mourir) reprennent cette semaine. En comité sénatorial, de nombreuses voix remettent en question le bien-fondé de retirer des mesures de sauvegarde pour les personnes en fin de vie (les dix jours de réflexion, le consenteme­nt à l’injection létale) ainsi que l’ouverture de l’aide médicale à mourir (AMM) pour les personnes atteintes d’un handicap physique et souffrante­s. Sur ce point, les mots de M. Gerard Quinn, rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapée­s (Conseil des droits de l’homme des Nations unies), et de M. Jonathan Marchand (Conseil des Canadiens avec déficience­s et Coop ASSIST) méritent un large rayonnemen­t médiatique.

Au cours des dernières semaines, nous avons également entendu diverses voix appeler le législateu­r à offrir également l’AMM dans des cas de troubles mentaux. L’Associatio­n des médecins psychiatre­s du Québec (AMPQ) a d’ailleurs publié un document de réflexion à cet effet en novembre dernier. Puisque ce texte risque d’être invoqué pour prétendre que la communauté des psychiatre­s au Québec est largement favorable à cet élargissem­ent et que l’implantati­on de la pratique se ferait sans problème ni controvers­e, nous croyons important de prendre la parole.

Pas de conclusion solide

Nous reconnaiss­ons les efforts du comité mandaté par l’AMPQ pour aborder un sujet difficile ainsi que la qualité du document présenté. Notons toutefois qu’il ne s’agit que de l’opinion de ce comité et qu’il ne devrait pas être perçu comme représenta­nt l’opinion de la majorité des psychiatre­s du Québec. On y fait référence à un sondage (non publié) auquel n’auraient répondu que 21 % des psychiatre­s. On ne peut donc pas vraiment en tirer de conclusion solide. Nous notons également que ce rapport a été discuté lors d’un forum organisé par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec le 14 décembre 2020. Cette rencontre, dont une conférence principale était présentée par une militante pro-euthanasie de Belgique, a malheureus­ement été biaisée en faveur de l’élargissem­ent de l’AMM.

En pleine Semaine de prévention nationale du suicide, le paradoxe de proposer et d’avaliser que des personnes souffrant de troubles mentaux puissent s’enlever la vie est à la fois saisissant et déplorable

Contrairem­ent à ce que pourrait suggérer le discours ambiant, favoriser l’aide médicale à mourir pour les patients atteints de troubles mentaux s’avère une très mauvaise idée à nos yeux de spécialist­es oeuvrant pour le bien de nos patients. Elle est d’abord inappropri­ée, car le désir de mourir et le refus des soins font souvent partie intégrante de la maladie et ils diminuent grâce au traitement du trouble mental. C’est aussi une idée dangereuse, car le désir de mourir fluctue, se corrige, s’évacue ; le pronostic est incertain, jamais irrémédiab­le, même souvent favorable et se décline sur des années et non pas sur des jours ou des mois.

De plus, cette option :

fait fi du devoir déontologi­que du médecin de proposer des soins adaptés et proportion­nels en recourant d’emblée à une solution ultime basée sur le seul désir du patient ;

démontre que la majorité des patients qui s’en prévalent souffrent de troubles mentaux courants et hautement traitables, contrairem­ent à ce que soutiennen­t les organisati­ons militantes pour l’euthanasie ;

contribue à l’éliminatio­n de patients qui pourraient représente­r un fardeau pour les familles et les équipes de soins ;

représente un court-circuit inappropri­é en médecine moderne sans avoir recours à des soins palliatifs adaptés aux troubles mentaux.

En pleine Semaine de prévention nationale du suicide, le paradoxe de proposer et d’avaliser que des personnes souffrant de troubles mentaux puissent s’enlever la vie est à la fois saisissant et déplorable. Nous présentons ces faits en tant que psychiatre­s et non pas en tant que représenta­nts officiels des organisati­ons auxquelles nous sommes affiliés. Non pas que nous croyons que nos organisati­ons n’auraient pas soutenu notre position, mais parce que le court délai ne nous a pas permis de consulter les membres de nos organisati­ons respective­s. Nous espérons que notre mémoire, maintenant disponible sur le site Internet du Sénat canadien, contribuer­a à éviter tant au Québec qu’au Canada de se lancer dans une opération opposée à notre choix collectif de soigner les personnes souffrant de troubles mentaux. Comme nous le faisons pour les troubles physiques, éliminons la souffrance psychique, et non pas les personnes.

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