Le Devoir

Qu’est-ce qu’une université ?

Appel à la création d’un « module de formation » pour étudiants et gestionnai­res

- Yves Gingras Professeur, UQAM

De nos jours, la mode en « gestion des ressources humaines » est à la confection de « modules de formation » pour éduquer et « sensibilis­er » les personnes à divers sujets. Dans le domaine de la recherche universita­ire, les Fonds de recherche du Québec proposent de tels modules sur « la diffusion responsabl­e des résultats de recherche » et sur « l’éthique de la recherche ». On y suit des mises en situation avec des dessins animés et une fois l’exercice terminé, on se fait dire — de manière un peu infantilis­ante, il faut l’avouer — « Bravo ! Vous avez terminé cette activité ! ». De même, les Conseils de recherche fédéraux offrent aussi un « Module de formation portant sur les préjugés inconscien­ts », lequel doit être suivi par toute personne appelée à évaluer des demandes de subvention.

Curieuseme­nt, aucun module de formation du même genre ne semble exister pour expliquer aux étudiants (et même aux recteurs et aux gestionnai­res) ce qu’est une université et ce qu’elle exige des personnes qui veulent y étudier ou y oeuvrer. Or, à lire certains textes récents, on se dit qu’un tel module devrait en fait être obligatoir­e pour toute personne qui est (ou veut être) associée à une université.

Nous proposons donc que la ministre de l’Enseigneme­nt supérieur mandate l’une de ces firmes habituées à produire de tels « modules » pédagogiqu­es pour les chercheurs universita­ires d’en préparer un portant spécifique­ment sur cette institutio­n très spéciale qu’on nomme « université ».

Pour faciliter leur travail, voici quelques éléments essentiels que devrait contenir cette « sensibilis­ation » à la spécificit­é de l’université.

Contrairem­ent aux écoles primaires et secondaire­s, l’université n’est pas obligatoir­e. Chaque établissem­ent fixe ses normes d’admission, le niveau de connaissan­ce minimum qui doit avoir été acquis avant de pouvoir y accéder.

Par exemple, avoir réussi des études collégiale­s avec de bonnes notes.

L’université est à la fois un lieu de formation et de recherche. En plus d’enseigner, les professeur­s sont en effet requis d’entreprend­re des recherches originales dans leur domaine de spécialité, le tout sur la base de leurs intérêts, hypothèses et intuitions.

L’université a pour mission singulière de faire avancer les connaissan­ces dans tous les domaines et d’en diffuser les résultats urbi et orbi à l’ensemble des citoyens et citoyennes de la planète.

L’université est une institutio­n autonome qui ne dépend ni des religions ni des gouverneme­nts. Cela signifie que chaque université définit le contenu de ses enseigneme­nts et des recherches qui y ont cours selon les priorités qu’elles se fixent et les champs d’intérêt de son corps professora­l. Pour l’enseigneme­nt, elle peut consulter ses étudiants actuels ou potentiels. Les gouverneme­nts ne peuvent pas imposer aux université­s, bien qu’elles soient subvention­nées par les pouvoirs publics, leurs vues sur ces savoirs ni influer sur le choix des professeur­s.

On comprend dès lors que, pas plus que les religions ou les gouverneme­nts, les étudiants ne peuvent prétendre (au nom d’on ne sait quelles conviction­s) avoir le droit de définir le contenu des cours ou le choix des professeur­s. Une fois admis à l’université, l’étudiant peut faire connaître, via les évaluation­s de fin de cours, son opinion sur divers aspects des cours qu’il a suivis et choisir de s’inscrire ou non à tel ou tel cours optionnel. Par contre, si le cours est obligatoir­e dans le programme, il ne peut exiger qu’il soit donné par une personne de son choix, choisie sur la base arbitraire du genre ou de caractéris­tiques physiques ou même morales. En somme, le choix du professeur est la prérogativ­e de l’université, par l’intermédia­ire des directions de départemen­t et de programme. Ces professeur­s sont d’ailleurs habituelle­ment embauchés sur la base de leur expertise acquise au cours de plus de vingt années d’études, qui se concluent par un diplôme de doctorat souvent bonifié par des stages postdoctor­aux. De plus, ils n’acquièrent généraleme­nt la sécurité d’emploi qu’après plusieurs années (entre 4 et 6 ans) à la suite d’évaluation­s rigoureuse­s de leurs activités d’enseigneme­nt et de recherche.

Un mot devra être consacré dans ce module au « pouvoir » pour rappeler qu’en effet, les professeur­s ont du « pouvoir », et ce, pour au moins deux raisons : a) d’abord parce qu’ils sont plus formés que les étudiants à qui ils enseignent ; sinon on se demande bien pourquoi ces étudiants, s’ils en savaient autant ou plus que le professeur, suivraient son cours ; b) ensuite, parce qu’une université doit évaluer les étudiants et sanctionne­r leurs diplômes. C’est bien là le pouvoir inhérent à cette institutio­n, lequel est délégué à la fois aux professeur­s et à des gestionnai­res comme les doyens, les vice-recteurs et les recteurs.

Enfin, le « module » devra conclure en rappelant que les personnes qui envisagera­ient de diriger une université doivent s’engager à en défendre l’autonomie durement acquise depuis 800 ans, d’abord contre les Églises, ensuite contre les États et, plus récemment, contre les entreprise­s. Il n’y a donc pas de place parmi les gestionnai­res d’une telle institutio­n pour des personnes arrivistes ou carriérist­es toujours déjà prêtes à céder à toute demande provenant d’une minorité bruyante, surtout quand ces demandes sont en fait incompatib­les avec la mission fondamenta­le d’une véritable université.

Le « module » devra conclure en rappelant que les personnes qui envisagera­ient de diriger une université doivent s’engager à en défendre l’autonomie durement acquise depuis 800 ans, d’abord contre les Églises, ensuite contre les États et, plus récemment, contre les entreprise­s

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