Le Devoir

Le SPVM présente des excuses à Mamadi Camara

Des résultats de tests ADN démontrent l’innocence du Montréalai­s

- AMÉLI PINEDA GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ

Mamadi III Fara Camara, ce Montréalai­s qui a passé six jours en prison à cause d’une erreur sur la personne, a été officielle­ment disculpé vendredi. Tandis que le véritable suspect est toujours en liberté, des résultats de tests d’ADN ont démontré qu’il est innocent, a confirmé le chef du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

« Mes excuses, je tiens à [les] lui offrir publiqueme­nt comme je m’étais engagé à le faire », a mentionné le chef Sylvain Caron. « Je veux que les Montréalai­s sachent que [M. Camara] n’a rien à se reprocher », a-t-il ajouté.

La veille, M. Caron avait refusé de disculper M. Camara, en rappelant qu’il était toujours considéré comme un témoin important. « Il faut être prudent avant d’accuser un citoyen, et aussi avant de le disculper », avait-il fait valoir. Ce sont des analyses, notamment en matière d’ADN, qui sont venues confirmer l’innocence de M. Camara dans cette affaire en fin de journée vendredi. « Nous avons obtenu ces résultats d’expertise des laboratoir­es et ils nous permettent de disculper M. Camara sur des bases objectives », a précisé le chef Caron.

Une rencontre sera organisée prochainem­ent avec M. Camara et sa famille pour que des excuses en personne lui soient présentées. « Nous sommes humains, nous compatisso­ns avec eux », a souligné M. Caron. Il s’est dit désolé des « inconvénie­nts » qu’il a pu vivre à la suite de ce qu’il a qualifié « de malheureux événements ».

« M. Camara est à la fois extrêmemen­t soulagé de la décision, mais aussi extrêmemen­t sous le choc. Il va falloir que la lumière soit faite sur ce qui s’est passé parce que clairement il y a eu des défaillanc­es majeures », a commenté son avocat, Me Cédric Materne.

Le chargé de laboratoir­e à Polytechni­que a bel et bien été arrêté par le policier Sanjay Vig, sauvagemen­t attaqué le 28 janvier dernier, mais contrairem­ent à ce qui a été avancé par les autorités, il n’était pas l’auteur de l’altercatio­n, mais plutôt un important témoin de celle-ci.

Mes excuses, je tiens à [les] lui offrir publiqueme­nt comme je m’étais engagé à le faire. Je veux que les Montréalai­s sachent que [M. Camara] n’a rien à se reprocher.

SYLVAIN CARON

Les excuses du SPVM, qui constituen­t un rare geste, ont été saluées par la mairesse Valérie Plante sur Twitter. « Nous accueillon­s la déclaratio­n et les excuses du SPVM, et nous souhaitons réitérer les nôtres auprès de M. Camara et sa famille. Redoublons d’efforts pour trouver le ou les fautifs de l’attaque », a-t-elle écrit.

Plusieurs pistes « étudiées »

Le véritable suspect est toujours en liberté près d’une semaine après la violente agression contre l’agent Vig. Un poste de commandeme­nt a été déployé à LaSalle vendredi près d’un stationnem­ent où la voiture volée par le suspect aurait été retrouvée.

Cet automobili­ste se serait aussi trouvé sur le boulevard Crémazie, en bordure de l’autoroute Métropolit­aine à Montréal, lorsque l’agent Vig a intercepté M. Camara.

« Plusieurs pistes sont étudiées à l’heure actuelle pour retrouver le suspect ainsi que l’arme du policier qui a été blessé », s’est limité à préciser M. Caron, qui n’a pas répondu aux questions des journalist­es.

Plus tôt dans la journée, le Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP), vers qui convergent aussi les critiques, a défendu sa décision initiale d’avoir autorisé le dépôt d’accusation­s contre M. Camara. La porte-parole Audrey Roy-Cloutier a soutenu que le travail du DPCP dans ce dossier s’est fait dans les règles de l’art, et qu’il n’est « pas exceptionn­el » que des accusation­s soient déposées « même lorsqu’un dossier n’est pas complet ».

« Il est courant que l’enquête policière se poursuive et que les policiers et le DPCP continuent leur réflexion sur le dossier, en gardant l’esprit ouvert quant aux nouveaux éléments de preuve susceptibl­es de se présenter », a-t-elle écrit dans un communiqué.

Une manifestat­ion, rassemblan­t des dizaines de protestata­ires, pour dénoncer le profilage racial et soutenir M. Camara et sa famille a été organisée à la station de métro Parc.

Tensions

Ce dossier s’est transformé en une guerre ouverte entre la mairesse Plante et la Fraternité des policiers de Montréal. Cette dernière a dénoncé vendredi une « ingérence politique » de la part de Mme Plante, dont les

« biais idéologiqu­es » nuiraient au « climat social ».

Dans un communiqué au ton vitrioliqu­e, le président de la Fraternité, Yves Francoeur, exprime le « profond malaise » provoqué par les propos tenus jeudi par Mme Plante. Cette dernière a notamment tenu à présenter M. Camara comme un « homme innocent », et a réclamé la tenue d’une enquête indépendan­te pour comprendre ce qui s’est passé dans son dossier.

« Sur le plan des principes les plus élémentair­es, il était sidérant de vous entendre présumer des conclusion­s d’une enquête de police complexe, délicate et encore intensémen­t active », écrit M. Francoeur au nom de ses collègues policiers.

Il estime ainsi que « l’évocation du profilage racial dans ce dossier représente une allusion extrêmemen­t déplorable ». À ce sujet, Mme Plante a dit qu’une enquête permettrai­t justement de vérifier si la couleur de peau de M. Camara a pu jouer contre lui. À Québec, les leaders des partis d’opposition ont eux aussi fait part de leur questionne­ment sur le rôle possible du profilage racial dans le traitement de ce dossier.

Sans répondre directemen­t aux différents griefs et à l’analyse globale d’Yves Francoeur, le cabinet de la mairesse a rappelé que Mme Plante « a souligné lors de son point de presse le travail des 5000 policiers et policières de la Ville de Montréal, comme elle le fait depuis le début de son mandat ». Mais « il est important de rappeler que nous avons tous une responsabi­lité collective d’assurer la confiance de la population montréalai­se envers notre corps de police », ajoute-t-on.

Trudeau s’en mêle

La mairesse Plante est loin d’être seule à souhaiter que le travail du SPVM soit révisé dans le cadre d’une enquête indépendan­te. Le gouverneme­nt Legault a indiqué jeudi que « les circonstan­ces ayant conduit à la mise en accusation de M. Camara doivent être examinées », et que des discussion­s sont en cours à cet égard. Les trois partis d’opposition se sont dits troublés par la mésaventur­e de M. Camara — une réaction semblable à celle de la Commission des droits de la personne.

Vendredi, le premier ministre Justin Trudeau a lui aussi parlé d’un « cas troublant » — l’arrestatio­n de M. Camara s’est faite dans la circonscri­ption qu’il représente. « Plusieurs questions se posent, notamment aux différente­s autorités impliquées dans cette affaire, estime Justin Trudeau. Il faut faire toute la lumière sur ce qui s’est passé. »

Il n’a pas dit clairement s’il souhaite une enquête indépendan­te, mais a affirmé que « tout le monde qui a vu ces histoires-là, ce qui est arrivé à M. Camara, a des questions importante­s auxquelles il va falloir qu’on trouve des réponses. Et j’ai confiance que les autorités en place vont mettre en place les mesures nécessaire­s pour faire la lumière sur cette situation troublante. »

M. Trudeau a également rappelé que « le racisme systémique existe dans toutes nos institutio­ns ».

Nous accueillon­s la déclaratio­n et les excuses du SPVM, et nous souhaitons réitérer les nôtres auprès de M. Camara et sa famille. Redoublons d’efforts pour trouver le ou les fautifs de l’attaque.

VALÉRIE PLANTE

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Une manifestat­ion, rassemblan­t des dizaines de personnes, pour dénoncer le profilage racial et soutenir Mamadi III Fara Camara et sa famille a été organisée à la station de métro Parc vendredi soir.

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