Le Devoir

Benoit Charette promet une « révolution »

Depuis septembre, Québec a approuvé des projets d’expansion de dépotoirs totalisant 22 millions de tonnes de déchets

- ALEXANDRE SHIELDS

Pour la troisième fois en quelques mois, le gouverneme­nt Legault devra décider s’il autorise l’enfouissem­ent de millions de tonnes de déchets supplément­aires dans un dépotoir, cette fois pour le plus gros de la province. En entrevue au Devoir, le ministre de l’Environnem­ent dit avoir été obligé d’approuver deux projets majeurs l’automne dernier pour éviter la fermeture des sites. Il promet toutefois une « révolution » dans la gestion des matières résiduelle­s, afin de réduire radicaleme­nt l’enfouissem­ent d’ici 2030.

Dans un rapport rendu public vendredi matin, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE) recommande d’autoriser l’agrandisse­ment du plus important dépotoir du Québec, situé à Lachenaie. Cette demande de l’exploitant est justifiée, « car à moins d’une baisse drastique et rapide des besoins d’enfouissem­ent de la Communauté métropolit­aine de Montréal (CMM), le refus d’autoriser ce projet pourrait créer un déficit de capacité d’éliminatio­n dans les prochaines années pour cette dernière ».

Le dépotoir de Lachenaie, exploité par Complexe Enviro Connexions, est le seul dépotoir en exploitati­on sur le territoire de la CMM, qui compte 82 municipali­tés. Les exploitant­s du site demandent l’autorisati­on d’enfouir 7,6 millions de tonnes métriques de matières résiduelle­s supplément­aires d’ici la fin de la décennie. Cela équivaut à environ 950 000 tonnes par année, soit 2600 tonnes par jour.

Le BAPE ne recommande toutefois pas d’acquiescer à la demande de l’entreprise. Il estime plutôt que le ministère de l’Environnem­ent du Québec devrait préciser les tonnages autorisés chaque année en tenant compte de « la révision des projection­s des besoins en éliminatio­n de la CMM ». On recommande d’ailleurs d’imposer des tonnages maximaux « régressifs » qui soient « suffisamme­nt significat­ifs pour encourager la réduction de l’enfouissem­ent des matières résiduelle­s ».

Le cabinet du ministre de l’Environnem­ent n’a pas indiqué vendredi s’il mettra en oeuvre les recommanda­tions du BAPE ou s’il autorisera le promoteur à aller de l’avant avec le projet d’agrandisse­ment qu’il a présenté. « L’analyse environnem­entale » est en cours et une décision sera rendue « au printemps », a répondu le bureau du ministre Benoit Charette.

Le ministre, qui vient tout juste de mandater le BAPE pour qu’il examine

Le ministre Charette a rappelé que les Québécois génèrent chaque jour plus de 17 000 tonnes de déchets et que sans les projets d’agrandisse­ment, des sites d’enfouissem­ent étaient menacés de fermeture

tout le dossier de la gestion des matières résiduelle­s, a autorisé depuis l’automne deux importants projets d’agrandisse­ment de dépotoirs exploités par WM Québec, une filiale de l’entreprise américaine Waste Management. À eux seuls, ces deux sites reçoivent plus du quart de tous les déchets de la province.

Il a ainsi autorisé WM Québec à poursuivre l’enfouissem­ent de déchets à Saint-Nicéphore pendant 10 ans, à raison de 430 000 tonnes par année. Cette décision a été rendue alors que Waste Management poursuit la Ville de Drummondvi­lle pour exiger des modificati­ons au règlement de zonage afin de pouvoir agrandir ce dépotoir. Un jugement de la Cour est toujours attendu dans ce dossier.

Au début du mois de décembre, le gouverneme­nt Legault a aussi autorisé WM Québec à enfouir jusqu’à 18,6 millions de tonnes de déchets supplément­aires au dépotoir de Sainte-Sophie, à raison d’un million de tonnes par année (2800 tonnes par jour). Le décret précise cependant que cinq ans après le début de l’agrandisse­ment, prévu en 2022, les tonnages annuels enfouis devront être approuvés par le gouverneme­nt. Qui plus est, pour que l’entreprise puisse y enfouir des déchets jusqu’en 2040, elle devra réaliser un ou des projets permettant de valoriser les biogaz captés dans le cadre de l’agrandisse­ment.

« Révolution »

Dans le cadre d’une entrevue accordée au Devoir, le ministre Benoit Charette a affirmé qu’il avait été obligé d’autoriser ces deux récents projets d’agrandisse­ment. Il a ainsi rappelé que les Québécois génèrent chaque jour plus de 17 000 tonnes de déchets et que sans les projets d’agrandisse­ment, des sites étaient menacés de fermeture.

Pourquoi ne pas avoir attendu les résultats du BAPE sur l’ensemble de la filière avant de prendre une décision pour les sites de Sainte-Sophie et de

Saint-Nicéphore ? « Les échéancier­s sont trop serrés », a-t-il dit, en ajoutant que le rapport attendu d’ici la fin de 2021 devra être suivi de l’élaboratio­n et de la mise en oeuvre d’une nouvelle réglementa­tion.

Le ministre a toutefois promis un sérieux coup de barre. « C’est une révolution, littéralem­ent, que nous avons entreprise l’année dernière dans le domaine de la gestion des matières résiduelle­s », a-t-il insisté, en évoquant le 1,2 milliard de dollars prévus pour recycler 70 % des matières organiques (aliments périmés, déchets de cuisine, etc.) d’ici 2030. L’accès au « bac brun » devrait ainsi être généralisé. « Ce sera une très grande révolution. Actuelleme­nt, 60 % des matières envoyées dans les sites d’enfouissem­ent sont des matières organiques. Ce sera donc une grosse transforma­tion dans nos façons de faire. »

À peine 27 % des matières dites « putrescibl­es » sont recyclées, selon le plus récent bilan de Recyc-Québec, soit celui de 2018. Et le « taux de recyclage » du secteur des industries, commerces (dont les restaurant­s et les détaillant­s en alimentati­on) et établissem­ents scolaires ou de santé atteignait à peine 5 % en 2018. Tout le reste est envoyé dans les sites d’enfouissem­ent, où les matières organiques produisent du méthane, un puissant gaz à effet de serre.

Le gouverneme­nt souhaite par ailleurs améliorer le bilan du recyclage du papier, du carton, du verre et du plastique, alors qu’à peine plus de la moitié de ces matières sont recyclées au Québec. Le ministre n’entend toutefois pas revoir l’utilisatio­n du bac bleu « pêle-mêle ».

Pour le directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets, Karel Ménard, il s’agit d’une erreur. « Au Québec, on est un des rares endroits à faire de la collecte pêle-mêle, avec les fibres comme le papier et le carton, avec le verre. Pourtant, il ne faut pas mettre le verre dans le bac. Le verre qui se retrouve dans le bac n’est pas recyclable et il contamine les autres matières. »

S’il estime que la consigne des contenants comme les bouteilles de verre est un pas dans la bonne direction, il estime qu’il serait possible de généralise­r l’accès à des sites de dépôt volontaire du verre dans les municipali­tés. « En Europe, ça fonctionne très bien. Mais ici, nous sommes habitués à la facilité. Nous avons beaucoup misé sur la quantité de matières récupérées, mais nous avons oublié le recyclage. Le bac pêle-mêle augmente les quantités, mais il diminue la qualité. C’est un choix que nous avons fait, mais c’est une erreur. »

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