Le Devoir

Pas de contrôles aux frontières provincial­es pour l’instant

Malgré des appels à faire comme au printemps dernier, Québec préfère une autre stratégie pour freiner l’implantati­on de variants préoccupan­ts du coronaviru­s

- ALEXIS RIOPEL

Le gouverneme­nt du Québec n’envisage actuelleme­nt pas de rehausser le contrôle des déplacemen­ts depuis les autres provinces afin de retarder l’implantati­on sur son territoire des variants préoccupan­ts du coronaviru­s, détectés en beaucoup plus grand nombre ailleurs au Canada. Toutefois, il n’exclut pas de s’y résoudre si la situation l’impose.

En date de vendredi, on avait détecté au Québec seulement huit cas de COVID-19 imputables au variant qui a d’abord été détecté au Royaume-Uni (B.1.1.7). Le même jour, en Ontario, le bilan cumulatif faisait état de 155 cas du variant B.1.1.7 et d’un cas du variant qui s’est propagé en Afrique du Sud (B.1.351).

Une étude de la Santé publique ontarienne révélait jeudi que 5,5 % des cas de COVID-19 découverts le 20 janvier étaient attribuabl­es à l’un des variants préoccupan­ts. La grande majorité de ces cas découlaien­t d’une éclosion dans une résidence de soins de longue durée à Barrie, au nord de Toronto, qui toucha tous ses résidents, sauf un.

En Alberta, les autorités ont décidé mardi de faire passer de 14 à 24 jours la quarantain­e pour les personnes vivant sous le même toit qu’un malade atteint d’un variant préoccupan­t du coronaviru­s. La province a détecté 61 cas du variant B.1.1.7 et sept du variant B.1.351. Plusieurs cas n’ont pas été reliés à un voyageur.

« C’est une course qu’on a contre la montre, on veut retarder le plus longtemps possible la présence du nouveau variant britanniqu­e » au Québec, faisait valoir vendredi en conférence de presse le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé.

Trois pistes privilégié­es

La stratégie québécoise tient en trois points : réduire la transmissi­on en général, rehausser la recherche de contacts, et faire le criblage et le séquençage pour trouver les variants préoccupan­ts. Toutefois, il n’est pas question pour l’instant de renforcer le contrôle des déplacemen­ts interprovi­nciaux.

« Il n’y a rien d’exclu, a cependant nuancé M. Dubé. S’il faut, à un moment donné, avoir une interventi­on de ce côté-là [on le fera, mais] ce n’est pas notre préférence. »

L’épidémiolo­giste Benoît Mâsse croit pour sa part que ce serait « un bon moment » pour réinstaure­r un contrôle aux frontières interprovi­nciales du Québec parce que la situation actuelle est « vraiment précaire ».

« Il faut tout faire pour essayer de ralentir [les variants]. Et s’il y en a dans la province voisine, il faut contrôler les entrées et les sorties, comme on l’a déjà fait au printemps », dit ce professeur à l’Université de Montréal.

« Honnêtemen­t, il est peut-être un peu trop tard pour fermer les frontières [interprovi­nciales] », estime pour sa part son collègue Mathieu MaheuGirou­x, de l’Université McGill. Il redoute que la grande différence dans le nombre de cas de variants au Québec (8) et en Ontario (156) ne reflète pas la prévalence réelle, mais plutôt des capacités différente­s de détection.

Selon le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, 8,5 % des échantillo­ns prélevés chez des personnes

Il faut tout faire pour essayer de ralentir [les variants]. Et s’il y en a dans la province voisine, il faut contrôler les entrées et les sorties, comme on l’a déjà fait au printemps.

BENOÎT MÂSSE

Il est peutêtre un peu trop tard pour fermer les frontières

MATHIEU MAHEUGIROU­X

atteintes de la COVID-19 au Québec subissent actuelleme­nt un séquençage génétique. Cette méthode, qui donne des résultats en 8 à 10 jours, permet de détecter la signature des variants actuels et émergents.

La moitié des échantillo­ns sont choisis aléatoirem­ent dans toutes les régions du Québec. L’autre moitié est sélectionn­ée dans certains groupes ciblés, dont les voyageurs internatio­naux. Les cas acquis dans d’autres provinces ne sont toutefois pas privilégié­s.

Une autre méthode, le criblage, permet de détecter plus simplement les variants grâce à un test PCR (réaction en chaîne de la polymérase), mais ne fonctionne qu’avec les variants déjà connus. « On a déjà commencé [à utiliser cette méthode] au Québec, mais on va l’intensifie­r », a déclaré vendredi le Dr Arruda.

Du fait de son voisinage avec l’Ontario, l’Outaouais est particuliè­rement susceptibl­e de subir l’introducti­on de variants sur son territoire, reconnaît Brigitte Pinard, la directrice régionale par intérim de la santé publique dans cette région.

« Nous allons garder un oeil sur les cas pouvant être associés à des déplacemen­ts plus importants à l’intérieur du pays, entre autres, entre les provinces, pour un dépistage. Il n’est pas fait de façon systématiq­ue pour l’ensemble des cas, mais nous sommes en train de revoir nos critères régionaux pour nous assurer d’avoir une vigie rehaussée considéran­t notre réalité », a-t-elle déclaré mercredi.

L’Abitibi-Témiscamin­gue, qui partage également une frontière avec l’Ontario, n’a pas non plus mis en place de mesures particuliè­res pour freiner l’entrée des variants sur son territoire, outre le dépistage.

Omobola Sobanjo, une médecincon­seil à la direction de santé publique de cette région, souligne toutefois que le suivi très serré des nouveaux cas dans la région permettrai­t de détecter rapidement une éclosion où la transmissi­on semble plus forte qu’à l’habitude — et donc potentiell­ement attribuabl­e à un variant préoccupan­t.

« On est capable de commencer notre enquête de façon assez rapide, et on fait une recherche de contacts assez exhaustive », a-t-elle assuré en conférence de presse, jeudi.

Majoritair­e dès la mi-mars

Le variant B.1.1.7 est environ 50 % plus transmissi­ble que les versions les plus communes du SRAS-CoV-2. Il domine actuelleme­nt l’épidémie en Angleterre. Aux États-Unis, plus de 600 cas y ont été associés. Les autorités américaine­s de santé publique estiment qu’il pourrait être majoritair­e dans ce pays dès la mi-mars.

En Europe, plusieurs gouverneme­nts ont rendu plus hermétique­s leurs frontières ces derniers jours pour empêcher l’introducti­on des variants préoccupan­ts.

L’Allemagne, par exemple, interdit désormais l’entrée aux voyageurs britanniqu­es et sud-africains, mais aussi espagnols et portugais. La France demande quant à elle aux visiteurs en provenance du reste de l’Union européenne d’avoir un résultat de test négatif pour pénétrer dans l’Hexagone.

« Le variant va venir au Québec, ce n’est qu’une question de temps, observe M. Mâsse. L’idée est de ralentir sa propagatio­n afin qu’on puisse avancer le plus possible la vaccinatio­n de la population. Mais en ce moment, on est encore loin d’avoir atteint une vaccinatio­n suffisante pour faire face aux variants. »

Pour l’instant, la plupart des variants détectés au Québec ont été attribués à des voyageurs internatio­naux. La moitié des huit cas sont d’ailleurs imputables à une étudiante revenant de l’Angleterre qui avait brisé sa quarantain­e. Plus tôt cette semaine, des enquêtes épidémiolo­giques étaient en cours au sujet des cas qui n’avaient pas encore été liés à des voyages à l’étranger.

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RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR L’épidémiolo­giste Benoît Mâsse croit que ce serait « un bon moment » pour réinstaure­r un contrôle aux frontières interprovi­nciales du Québec parce que la situation actuelle est « vraiment précaire ».

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