Le Devoir

Espérances pour enseignant­s à bout

- NORMAND BAILLARGEO­N

La pandémie est passée dans nos vies et on a souvent oublié bien des choses d’avant qu’elle ne saccage à peu près tout. L’une d’elles, en éducation, mais que nous rappelait judicieuse­ment Marco Fortier dans un récent texte, est cette promesse de la CAQ, très haut placée sur l’échelle de ce qu’elle entendait accomplir, de valoriser la profession enseignant­e. Il y avait, à ce sujet, et il y a toujours, une grande urgence.

Pour de nombreuses raisons, dont plusieurs sont bien connues, enseigner est devenu une tâche lourde, complexe, difficile et trop mal rémunérée — les salaires des enseignant­s du Québec les plaçaient en 2019 bons derniers au Canada. Une tâche si exigeante en fait qu’on parlait, depuis quelques années déjà dans la littératur­e spécialisé­e, de désertion profession­nelle pour décrire ces enseignant­s qui, durant les premières années de leur carrière, quittaient le métier pour lequel ils et elles avaient pourtant été formés. Il semble que cette situation ait empiré et qu’on assiste en ce moment à un nombre plus élevé encore de démissions.

J’ai donc eu l’idée de demander à des enseignant­s (mes proches, des connaissan­ces et des abonnés sur les médias sociaux) ce qui, à part le salaire, pourrait selon eux rendre plus facile et plus agréable l’exercice de leur profession.

J’ai reçu un très grand nombre de réponses. Sans prétention scientifiq­ue et en m’excusant par avance de ne pouvoir tout rapporter, en voici quelques-unes.

Vous le verrez : le travail ne manque pas.

Des idées, en vrac

On me parle beaucoup de la vétusté des immeubles, laquelle est, en ces heures, rendue plus manifeste encore par les problèmes de ventilatio­n des classes. On me parle aussi du manque de locaux appropriés pour certains cours, comme les arts et la musique.

On me raconte qu’on manque trop souvent de ces indispensa­bles ressources spécialisé­es — comme des bibliothéc­aires, des orthophoni­stes, des psychologu­es. Une enseignant­e me raconte : « J’enseigne en sixième année. J’ai vingt-six élèves dans ma classe, dont onze avec un plan d’interventi­on. J’ai très peu d’aide et je n’arrive tout simplement pas à faire correcteme­nt mon travail. »

Le tragique manque de nourriture (pour le déjeuner ou le dîner) est rapporté dans certains milieux, pour lesquels on demande des assoupliss­ements et des ressources. Là, mais aussi en d’autres endroits, on rappelle le problème du coût excessif, pour des parents, du matériel scolaire qu’ils doivent acheter. Les effets de la concurrenc­e avec le privé sont soulevés, aggravés par le fait que celui-ci n’est pas obligé d’accepter tous les élèves.

Mais on avance aussi des solutions et je ne voudrais surtout pas les passer sous silence. En voici un échantillo­n.

Faciliter l’arrivée dans la profession par des tâches plus légères et par l’accompagne­ment par un mentor ; penser à des manières de concilier famille et travail ; faciliter l’accès à un poste pour certaines catégories d’enseignant­s pour lesquels c’est plus difficile ; prendre en compte l’importance relative que prendra la correction dans la définition de la tâche — elle n’y prend pas la même place et ne demande pas le même temps pour qui enseigne le français et pour qui enseigne l’éducation physique ; ouvrir la possibilit­é (quand on ne sera plus en situation de pénurie…) de ne pas travailler à plein temps.

Dans une perspectiv­e plus large et plus institutio­nnelle, certains évoquent la création d’un ordre profession­nel ; d’autres demandent un conseil des enseignant­s, qui porterait leur voix auprès du gouverneme­nt, mais à l’écart du discours et des préoccupat­ions syndicales, et indépendam­ment de lui.

Se préparer à enseigner

J’ai été frappé du nombre non négligeabl­e de personnes qui rappellent l’importance de bonifier la formation des enseignant­s, leur formation disciplina­ire et leur formation en matière de pédagogie, et qui font état de leur déception quant à leur propre formation. J’estime que toute valorisati­on de la profession devra passer par là, par la bonificati­on de cette formation initiale et de la formation continue, qui ferait que la préparatio­n à l’exercice de ce métier serait quelque chose d’exigeant, transmetta­nt des savoirs importants et prenant appui, là où ce doit l’être, sur des données probantes. Les personnes ainsi formées jouiraient ensuite d’une grande autonomie profession­nelle et d’une grande reconnaiss­ance sociale.

Au risque de me répéter, il ne revient à personne en particulie­r et à aucune instance actuelleme­nt en place de décider de ce qu’il convient de faire : seule une vaste et sérieuse consultati­on permettrai­t de dire ce que collective­ment nous voulons et les moyens que nous estimons devoir mettre en place pour ce faire.

Mais je tiens à le dire : à mes yeux, il s’agit ici d’une urgence nationale. Après tout, comme le disait mon cher Bertrand Russell, les enseignant­s sont les gardiens de la civilisati­on. Penser à tout ce qu’on leur demande ; les préparer comme il convient pour cette immense tâche et leur donner les moyens de l’accomplir témoignent du prix que nous accordons au savoir qu’ils transmette­nt, à l’autonomie des personnes qu’ils contribuen­t tant à faire advenir et au futur citoyen qu’ils forment : bref, à bien des choses essentiell­es à une certaine et haute idée de la civilisati­on.

Bonne Semaine des enseignant­es et des enseignant­s !

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