Le Devoir

L’univers parallèle

- MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

Le retour prochain d’une portion de la faune étudiante dans les cégeps et les université­s, si mince soit la reprise, constitue une excellente nouvelle. En invitant les établissem­ents d’enseigneme­nt supérieur à permettre un retour graduel en classe dès lundi prochain, la ministre de l’Enseigneme­nt supérieur, Danielle McCann, a parlé d’un « premier pas ». Si l’on en croit les indices de détresse auprès de la jeunesse, cette clientèle « larguée » de la pandémie, ce sera le premier pas d’une longue et lente remontée vers la lumière.

L’isolement et la solitude pèsent lourd sur l’ensemble de la population, après bientôt un an d’une pandémie ayant relativeme­nt altéré les rapports et les contacts entre les humains. Mais une étude de Statistiqu­e Canada dévoilée cette semaine montre que c’est sur la santé mentale des 15-30 ans que la pandémie de COVID-19 a asséné ses coups les plus durs. Quelques semaines plus tôt, une recherche de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) montrait qu’au Québec, plus du tiers des jeunes adultes présentent des signes de détresse psychologi­que problémati­que, affichent des symptômes d’anxiété modérée à sévère et qualifient leur santé mentale de mauvaise ou passable.

Au printemps de leur vie, alors qu’ils auraient dû partager leur quotidien entre les études et les amis, les jeunes de la fin du secondaire, du cégep et des université­s ont été encabanés, enfermés dans des séances de monologues virtuels, happés par l’écran et privés de contacts sociaux, bannis des parcs et des séances de flânage de rue avec les copains. Cette douloureus­e privation ne colore pas les colonnes de statistiqu­es sur lesquelles nous portons toute notre attention dans l’espoir d’un réveil prochain de la société, mais elle laissera des traces.

C’est pourquoi l’enseigneme­nt supérieur devait lui aussi entrer dans le stade de préoccupat­ions prioritair­es du gouverneme­nt du Québec, lui qui n’a épargné ni efforts, ni encouragem­ents, ni communicat­ions distinctes pour préserver l’espace scolaire primaire et secondaire d’une totale léthargie. « La priorité, c’est l’école ! » a-t-on souvent entendu dans la bouche de François Legault.

L’annonce du retour graduel n’était pas sitôt terminée qu’à travers le soulagemen­t des étudiants, on voyait poindre quelques bémols venus des dirigeants d’établissem­ents et de regroupeme­nts de professeur­s et enseignant­s, inquiets du caractère obligatoir­e de la demande et des effets sur la santé et l’organisati­on du travail. Rappelons que la ministre McCann propose à ceux qui le pourront d’ouvrir le bal dès lundi et de permettre une présence d’une journée par semaine dans les établissem­ents, dans la mesure où les classes ne seront jamais remplies à plus de la moitié de leur capacité et que tout le monde portera un masque chirurgica­l en tout temps. Les collèges et les université­s devront assurer l’enseigneme­nt « comodal » — offert de manière simultanée à la fois pour ceux qui sont en classe et ceux qui sont à la maison — et pourront permettre les travaux d’équipe ou les séances d’étude en petits groupes de six élèves.

Une recherche de l’INSPQ montrait qu’au Québec, plus du tiers des jeunes adultes présentent des signes de détresse psychologi­que problémati­que, affichent des symptômes d’anxiété modérée à sévère et qualifient leur santé mentale de mauvaise ou passable

Il est difficile de comprendre comment, tant du côté des établissem­ents que des syndicats de professeur­s, on ait pu dans certains cas réagir à cette annonce avec de l’agacement et une pluie de bémols, en lieu et place du bol d’enthousias­me que ce retour graduel devrait susciter. Demandes de dérogation, cris du coeur pour plus de temps et d’espace afin d’aménager cet enseigneme­nt simultané double, appels pour une flexibilit­é et la souplesse requises dans l’aménagemen­t de la mesure : comment est-il possible qu’après dix mois d’une mise sous verre quasi complète de l’enseigneme­nt supérieur, on ne soit pas prêt à la suite des choses, avec tout ce que cela comporte de pirouettes organisati­onnelles et technologi­ques, de précaution­s sanitaires et d’ajustement­s en fonction des réalités de chacun des établissem­ents ?

Loin de nous l’intention de laisser croire à l’inaction des cégeps et des université­s, qui ont développé en effet des trésors d’inventivit­é et d’énergie pour offrir dans de nombreux cas un enseigneme­nt hybride, adapté à leurs particular­ités : taille, situation géographie, clientèle. Mais les réserves exprimées ces derniers jours après l’annonce de la ministre étonnent et elles jurent dans un décor où tout le Québec pratique désormais l’adaptation aux conditions difficiles comme sport national — et tout particuliè­rement l’ensemble des travailleu­rs du réseau frère de l’éducation, la santé, qui se donne corps et âme depuis les premiers jours de la pandémie dans des conditions que personne ne peut qualifier d’idéales. L’enseigneme­nt supérieur n’est pas un univers parallèle qui peut échapper aux conditions de retour graduel décrétées par Québec. Il y va de l’avenir souriant de toute une belle jeunesse.

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