Le Devoir

Un an après la fin des commission­s scolaires, des constats s’imposent

- Alain Fortier, Alain Grenier, Claude Lessard et Marc St-Pierre*

Dans la nuit du 7 au 8 février 2020, le gouverneme­nt caquiste a mis un terme à la démocratie scolaire francophon­e de manière cavalière et téméraire. Un an plus tard, peut-on déjà faire des constats révélateur­s de la suite ? À nos yeux, la pandémie n’est certaineme­nt pas une excuse pour expliquer les déboires actuels d’une école publique en mal de leadership rassembleu­r, mais la situation sanitaire présente aura servi d’amplificat­eur et permis de constater quelques constats inquiétant­s.

Pour promouvoir son projet de loi, le gouverneme­nt a maintes fois répété l’importance de « rapprocher les décisions de ceux connaissan­t le nom des enfants ». Le leurre de l’autonomie en aura séduit plus d’un, mais la réalité se veut tout autre : les centres de services dépendent du ministre. On a hâte de connaître SA décision ; on craint SON changement de cap. On aimerait pouvoir installer des purificate­urs d’air, mais on espère SA permission pour le faire. Faute d’autonomie décisionne­lle, nous avons eu droit à une organisati­on nationale uniforme. Les Îles-de-la-Madeleine et Parc-Extension dans le même bateau ! Où est cette fameuse autonomie des milieux tant promise ?

Silence

La place d’un discours indépendan­t dans l’espace public n’existe plus. Les présidents des conseils d’administra­tion des centres de services scolaires (CSS) ne remettent pas publiqueme­nt en question les choix du ministre, ne demandent pas d’ajustement­s régionaux ou locaux. La loi les oblige au silence au profit des directions générales, devenues porte-parole des CSS. Mais jamais un administra­teur ne tiendra publiqueme­nt un propos critique envers le gouverneme­nt. Tout au plus, des citoyens sur Twitter et d’autres réseaux sociaux, des groupes d’intérêt au nom des conditions de travail de leurs membres ou encore des critiques d’opposition en phase avec leur ligne de parti politique font part de leurs récriminat­ions ou revendicat­ions. En fait, l’école publique est passée d’une organisati­on citoyenne ouverte et inclusive à un service centralisé pour utilisateu­rs seulement. Le propos national ou régional critique n’existe plus.

L’organisati­on citoyenne devenue silencieus­e peut aussi s’expliquer par le vacuum des responsabi­lités des conseils d’administra­tion. Des délégation­s de pouvoirs revues à la faveur des directions générales, souvent avant la mise en place des conseils d’administra­tion (conséquenc­e inévitable et prévisible du projet de loi 40), la disparitio­n des comités exécutifs, la forte réduction du nombre de réunions des C.A. auront vite réduit au rang de murmure l’influence des conseils d’administra­tion sur la réussite des élèves. Et pourtant, l’école publique, c’est 11 milliards de dollars, provenant des impôts et de la « taxe sans droit de vote scolaire » des contribuab­les. C’est une chose d’abolir les élections scolaires telles qu’on les a connues pendant plus d’un siècle et demi, c’en est une autre de créer des CA muets et sans pouvoir.

Pour plusieurs, et nous en sommes, il est urgent d’entreprend­re une conversati­on nationale ouverte sur l’état de l’éducation au Québec. Dans ce cadre, faire le point et réfléchir sur la transforma­tion des commission­s scolaires en centres de services scolaires devrait notamment être à l’ordre du jour.

Aujourd’hui, les francophon­es se retrouvent à la remorque d’un pouvoir centralisa­teur, les anglophone­s préservent leur autonomie et l’imputabili­té de leurs choix et les mieux nantis maintienne­nt le privilège de leur réseau privé soutenu financière­ment par l’État. Si nous réaffirmon­s l’équité en valeur phare de nos discussion­s, l’existence de ce système d’éducation morcelé aura vite fait d’imposer l’urgence d’agir. * Respective­ment ex-président de la Commission scolaire des Découvreur­s (Québec) et de la Fédération des commission­s scolaires du Québec ; ex-président de la Commission scolaire de la Côte-du-Sud ; ex-président du Conseil supérieur de l’éducation ; ex-directeur général adjoint de la Commission scolaire de la Rivière-du-Nord.

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