Le Devoir

Pour en finir avec la monarchie

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Chaque fois qu’une controvers­e survient autour du bureau du gouverneur général du Canada ou de l’élu au poste luimême, les voix s’élèvent pour réclamer l’abolition pure et simple d’une fonction perçue comme étant archaïque. La plupart de ces mêmes voix concèdent toutefois qu’une telle abolition est devenue impossible depuis l’adoption de la Loi constituti­onnelle de 1982, qui exige l’unanimité des provinces avant de procéder à toute réforme des institutio­ns politiques fondamenta­les du pays. On hausse alors les épaules, on déclare que le Canada a d’autres priorités que de se plonger dans un débat constituti­onnel inutile, et on passe à autre chose.

C’est ainsi que, dans la foulée de la démission de Julie Payette après un mandat tumultueux, écourté par des allégation­s de harcèlemen­t envers les employés du Bureau du gouverneur général du Canada, on assiste à ce même haussement d’épaules parmi une classe politique allergique à tout ce qui rime avec le mot constituti­on. Si les chefs souveraini­stes n’ont pas hésité à souligner la vétusté du poste de gouverneur général — une « vieillerie absolument inutile et antidémocr­atique », selon Gabriel Nadeau-Dubois —, le gouverneme­nt caquiste du premier ministre François Legault a vite fait savoir (par la voix d’un porte-parole de la ministre responsabl­e des Relations canadienne­s, Sonia LeBel) que la question de l’avenir de la monarchie au Canada ne figure pas à son ordre du jour. La cheffe du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade, s’est dite ouverte

« aux différente­s conversati­ons », tout en précisant : « Changer l’institutio­n voudrait dire rouvrir les débats constituti­onnels. »

Décidément, un tel constat suffit encore pour tuer dans l’oeuf toute tentative de raviver un débat qui est pourtant fondamenta­l à notre démocratie. Le gouverneur général est au sommet de la hiérarchie institutio­nnelle du pays à titre de représenta­nt de la reine Élisabeth II au Canada. Cette dernière demeure notre cheffe d’État sans pour autant que la plupart des Canadiens sachent exactement pourquoi.

Bien sûr, ils ont appris à l’école que le Canada fut une colonie britanniqu­e avant la Confédérat­ion en 1867 et que nous faisons toujours partie du Commonweal­th. Mais peu d’entre eux savent précisémen­t ce que représente la Couronne dans l’ordre constituti­onnel du Canada, à part que de l’associer à notre obséquiosi­té envers une dame riche qui daigne rendre visite à ses sujets canadiens de temps à autre et que l’on honore en mettant son visage sur nos timbres et notre monnaie.

Si les Britanniqu­es restent attachés à la monarchie, c’est en grande partie en raison de leur affection envers une reine qui, pendant presque 70 ans, s’est consacrée corps et âme à son « devoir » de régner. Mais c’est aussi parce que, la Grande-Bretagne n’ayant pas de Constituti­on écrite, la reine constitue un lien vivant avec la Grande Charte de 1215, moment où la monarchie absolue est devenue caduque, le parlementa­risme a commencé à prendre forme et la notion des droits de l’homme a pris le dessus sur le droit divin des rois. À la différence des Français, qui ont envoyé leurs monarques à la guillotine, les Britanniqu­es ont graduellem­ent réduit les pouvoirs du monarque sans verser beaucoup de sang. Plutôt que d’être antidémocr­atique, donc, la monarchie en Grande-Bretagne est vue comme le garant même de la démocratie.

Mais l’histoire du Canada n’est pas que celle de la Grande-Bretagne. « La Couronne a d’abord été instaurée au Canada par les rois de France au XVIe siècle », liton dans La Couronne canadienne, document publié en 2015 par Patrimoine canadien. Samuel de Champlain fut nommé gouverneur de la Nouvelle-France en 1627, suivi par sept autres jusqu’à la Conquête en 1759. « C’est avec le traité de Paris de 1763 que cessent d’exister ces prérogativ­es du dernier monarque absolu à avoir régné sur le Canada, le roi Louis XV. »

J’imagine que c’est en ajoutant cette référence aux origines de la Nouvelle-France sous l’Ancien Régime que l’on essaie d’établir un lien quelconque entre le poste du gouverneur général et les Québécois descendant­s des colons français. Mais ce lien n’existe pas. Nulle part dans les lois constituti­onnelles de 1867 et de 1982 ne fait-on référence aux défunts rois de France. La Couronne canadienne est incarnée uniquement en la personne de la reine Élisabeth II, résidant à Londres, dont le représenta­nt en terre canadienne demeure le gouverneur général.

Si les Québécois n’ont jamais été ravis de cet arrangemen­t institutio­nnel, de plus en plus de Canadiens les rejoignent dans cet esprit. Alors, pourquoi balaie-t-on sous le tapis toute suggestion de réforme ? L’époque où les Canadiens anglais auraient été réfractair­es à l’abolition de la monarchie est bel et bien révolue. Leur affection pour la reine actuelle n’empêche pas la plupart d’entre eux de penser que le Canada devrait se doter d’un chef d’État qu’il ne partage pas avec 15 autres pays du Commonweal­th. Si nous sommes sérieux dans notre désir de réconcilia­tion avec les peuples autochtone­s, premières victimes de la colonisati­on, un geste dans ce sens va de soi.

Au lieu de nous plonger dans une autre crise constituti­onnelle, une telle démarche risque plutôt de nous unifier pour une fois.

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