Le Devoir

Susciter l’adhésion à la lutte contre les changement­s climatique­s

L’auteur est professeur titulaire au Départemen­t des sciences économique­s de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Il a également été ministre des Finances et de l’Économie dans le gouverneme­nt québécois.

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François Legault avait sûrement deux choses en tête lorsqu’il a interpellé Justin Trudeau récemment au sujet des voyages dans le Sud, qui étaient à l’époque encore permis par Ottawa. D’une part, il y avait à l’évidence la crainte que nos amateurs de plages s’infectent là-bas et ramènent ici le virus. D’autre part, je crois qu’il craignait aussi que l’apathie d’Ottawa en vienne à réduire l’adhésion des Québécois aux difficiles mesures de santé publique avec lesquelles ils doivent composer. Car les images d’aéroports bondés de vacanciers bronzés, cela nourrit, pour celui qui respecte les règles, le sentiment d’être floué. Et cela l’amène à se questionne­r sur la nécessité de les suivre, ces règles, avec l’évident risque qu’il en vienne à la conclusion que cela ne vaut pas la peine.

Dans les prochains mois, le virus ne pourra être contrôlé que si se maintient une large adhésion aux mesures de santé publique. Je suis convaincu que, dans toutes les décisions que prendra François Legault, la question de cette adhésion continuera d’être un élément fondamenta­l.

Il y a une forte ressemblan­ce entre la lutte contre le virus et celle contre les changement­s climatique­s. Dans les deux cas, les conséquenc­es de l’inaction sont terribles. Ensuite, pour mener ces luttes, les gouverneme­nts mettent en place des mesures qui seront d’autant plus efficaces si elles suscitent l’adhésion, mais qui sans elle sont vouées à l’échec.

La question se pose donc de savoir ce qui favorise l’adhésion à la lutte contre les changement­s climatique­s.

Il me semble tout d’abord qu’il ne saurait y avoir d’adhésion à cette lutte que si l’on croit qu’elle a des chances d’être victorieus­e. Car l’effort est coûteux, et s’il ne mène pas à un gain, personne ne consentira à le fournir. De ce point de vue, et même s’ils sont sans malice, certains discours catastroph­istes nuisent. Si la fin du monde est de toute façon pour demain, à quoi bon faire un effort ? Bien sûr, les conséquenc­es du réchauffem­ent sont extrêmemen­t graves et les efforts à fournir pour contrer celui-ci sont considérab­les. Cela doit être dit et répété. Mais pour favoriser l’adhésion, j’éviterais d’annoncer une inévitable apocalypse.

Ensuite, certains font la promotion de la décroissan­ce économique et de la réduction de notre consommati­on. Ces idées nuisent à l’adhésion de la population. Car nous sommes pour ainsi dire culturelle­ment programmés pour consommer et accumuler des biens. Il n’y a pas si longtemps, tout juste deux ou trois génération­s, la majorité des Québécois n’avaient pas de coussin financier pour parer aux imprévus, avec pour résultat que le moindre incident les plongeait dans la misère. Comment se surprendre alors que notre culture valorise le travail et l’accumulati­on. Je ne miserais donc pas trop sur notre déprogramm­ation.

Soulignons aussi que 2020 a été une année de décroissan­ce. La décroissan­ce, ce serait revivre 2020 chaque année, pour toujours… Jamais la population ne se rangera derrière un tel programme.

Ajoutons que, sans croissance, une économie s’apparente à un jeu à somme nulle dans lequel les gains de l’un causent nécessaire­ment les pertes d’un autre. Dans ce contexte, réformer est impossible, car on ne dispose alors pas du supplément de ressources que la croissance génère pour indemniser les perdants, vaincre les résistance­s et susciter l’adhésion. Or, sans réformes, la lutte contre le réchauffem­ent échouera.

Cela étant, encore faut-il mesurer le bien-être et la croissance correcteme­nt. Pour mesurer la croissance, nous utilisons aujourd’hui le PIB, lequel comporte d’importants biais. Parmi ceux-ci, notons qu’il s’accroît quand on engage des dépenses de reconstruc­tion à la suite d’une catastroph­e. Ainsi, les dépenses de 2020 en masques, en seringues et en vaccins ont fait croître notre PIB ! Idem pour les services funéraires en hausse en raison de la surmortali­té, c’est dire…

Le PIB est donc une mauvaise mesure. Pour nous guider, il y aurait lieu d’adopter des mesures de bien-être collectif plus larges, conformes aux principes du développem­ent durable, tenant compte de la production, mais aussi de l’état de notre environnem­ent, de la santé et de la scolarisat­ion de la population, des inégalités, etc. En mesurant adéquateme­nt, on rejetterai­t plus souvent les projets néfastes pour le climat. De même, les projets contribuan­t à assainir notre environnem­ent recevraien­t l’appui qu’ils méritent. Je suis convaincu qu’en mesurant correcteme­nt, on éclairerai­t les débats et on favorisera­it l’adhésion.

Si l’idée de consommer moins sera d’après moi toujours controvers­ée, je crois que celle de consommer mieux pourrait obtenir l’adhésion. Plusieurs trouvent en effet raisonnabl­e le principe selon lequel il est avantageux de substituer un produit polluant par un autre, équivalent mais moins polluant.

D’ailleurs, quand on parle de remplacer une voiture à essence par une voiture à électricit­é, ce principe est largement accepté. Cependant, quand il est question de remplacer un hydrocarbu­re comme le pétrole par un autre comme le gaz naturel, qui est moins polluant, ce principe devient soudaineme­nt toxique et inapplicab­le pour certains. Pourtant, le principe demeure valable. Bien sûr, tous les projets impliquant le gaz naturel ne sont pas avantageux, mais il est raisonnabl­e de croire que quelques-uns le sont pour la période transitoir­e actuelle.

Quand certains rejettent automatiqu­ement le principe de substituti­on, ils encouragen­t la population à ne pas y adhérer, et cela nuit au succès de notre lutte contre le réchauffem­ent climatique.

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