Le Devoir

Sept-Îles et la difficile sauvegarde du patrimoine bâti moderne

- Caroline Girard et Pierre-André Levesque Architecte­s associés, BGLA architectu­re + design urbain

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, à la faveur des besoins criants en matière de constructi­on et d’industrial­isation, et pour oublier les désastres économique­s et humanitair­es laissés par la dernière guerre mondiale, on a vu apparaître au Québec des modèles architectu­raux nouveaux, faisant fi du passé et résolument tournés vers l’avenir et la soif de progrès. Ce sont ces modèles d’alors, aux formes modernes et hardies, arrivés d’Europe, qui ont commencé à parsemer nos paysages urbains et nos rues : pavillons universita­ires, hôtels de ville, hôpitaux, grands ensembles d’habitation. Ils représenta­ient, avec raison, l’envie de modernité et le désir d’effacer les traces douloureus­es du passé.

En même temps que poussaient ces nouveautés architectu­rales, la notion d’architectu­re éphémère s’insinuait graduellem­ent, tant la vitesse de constructi­on augmentait et l’emploi de matériaux nouveaux et moins nobles que la pierre, par exemple, se généralisa­it.

Force est de constater aujourd’hui que ces édifices modernes des années 1950, 1960 et 1970 acquièrent déjà un statut de patrimoine. Comme le dit la professeur­e de l’École de design de l’UQAM France Vanlaethem, « le patrimoine moderne étonne. Jusqu’à son émergence, le patrimoine était uniquement ancien. Sa jeunesse est troublante, déstabilis­ante ».

Dans le cas de l’hôtel de ville de SeptÎles, actuelleme­nt dans la tourmente pour diverses raisons, la répétitivi­té de ses façades arbore un mur-rideau typique de l’époque et une volumétrie rigoureuse caractéris­tique qui le place au sommet des édifices modernes de la Côte-Nord. Un équivalent de cette époque en plus élevé, l’édifice Lafayette à Québec, a subi il y a quelques années un remodelage réussi de ses façades en mur-rideau, très similaires.

Il y a lieu de croire qu’une telle mise à niveau de l’hôtel de ville de Sept-Îles serait possible et contribuer­ait, non seulement à sauvegarde­r l’édifice, mais à lui redonner le lustre et la prestance qu’il mérite. Cette opération rejaillira­it du coup sur la ville elle-même, que ce bâtiment demeure l’hôtel de ville ou non, témoignant de la distinctio­n et du pouvoir municipal d’un édifice érigé dans les débuts économique­s significat­ifs de la ville de Sept-Îles.

Repenser sa fonction

Selon nos informatio­ns, les espaces actuels de l’hôtel de ville ne correspond­ent plus aux besoins de la Ville de Sept-Îles. Le bâtiment pourrait être transformé pour accueillir de nouvelles fonctions qui permettrai­ent à toute la population de profiter de ce joyau pour l’instant boudé et méconnu. « La patrimonia­lisation ne peut se passer de l’adhésion des citoyens », mais si ceux-ci sont les utilisateu­rs du nouvel équipement, ils en seront les meilleurs ambassadeu­rs.

Comme exemples de transforma­tion et de nouvelles fonctions, on pourrait penser à une salle d’exposition, à un lieu de création pour les artistes, à une petite salle de spectacles format cabaret, ou encore à des bureaux pour des profession­nels ou des associatio­ns. La proximité du Centre hospitalie­r régional offrirait peut-être également la possibilit­é de recycler l’édifice et de l’intégrer au projet d’agrandisse­ment de l’hôpital. Des usages de bureaux administra­tifs, de génie biomédical, de consultati­ons ou d’autres fonctions reliées à la santé seraient tout à fait appropriés. Même un nouveau pavillon des employés, avec vestiaires, salles de repos et cafétéria, serait une fonction pertinente et utile à l’ensemble de la communauté.

L’idée même de requalifie­r le bâtiment, plutôt que de le détruire, aurait certaineme­nt un impact positif sur les citoyens en leur donnant l’impression de prolonger la vie utile d’une infrastruc­ture existante plutôt que d’investir dans un nouvel édifice. Par le fait même, la pression de conserver le bâtiment serait partagée non seulement par la Ville, mais aussi par la Société québécoise des infrastruc­tures (SQI) et les différente­s instances gouverneme­ntales provincial­es concernées.

L’âme d’une ville se compose de plusieurs éléments que l’on découvre à travers le coeur même d’une communauté. Cette âme découle non seulement de la chaleur des habitants et des activités, mais également par ses rues, ses parcs et ses monuments. On le dit souvent, et BGLA adhère à cette maxime : ce que l’on construit aujourd’hui constitue notre patrimoine de demain.

À nous d’en déterminer les composante­s les plus significat­ives de manière à favoriser une meilleure compréhens­ion de cet héritage récent et d’en faire partager les retombées au plus grand nombre.

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