Sept-Îles et la difficile sauvegarde du patrimoine bâti moderne
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, à la faveur des besoins criants en matière de construction et d’industrialisation, et pour oublier les désastres économiques et humanitaires laissés par la dernière guerre mondiale, on a vu apparaître au Québec des modèles architecturaux nouveaux, faisant fi du passé et résolument tournés vers l’avenir et la soif de progrès. Ce sont ces modèles d’alors, aux formes modernes et hardies, arrivés d’Europe, qui ont commencé à parsemer nos paysages urbains et nos rues : pavillons universitaires, hôtels de ville, hôpitaux, grands ensembles d’habitation. Ils représentaient, avec raison, l’envie de modernité et le désir d’effacer les traces douloureuses du passé.
En même temps que poussaient ces nouveautés architecturales, la notion d’architecture éphémère s’insinuait graduellement, tant la vitesse de construction augmentait et l’emploi de matériaux nouveaux et moins nobles que la pierre, par exemple, se généralisait.
Force est de constater aujourd’hui que ces édifices modernes des années 1950, 1960 et 1970 acquièrent déjà un statut de patrimoine. Comme le dit la professeure de l’École de design de l’UQAM France Vanlaethem, « le patrimoine moderne étonne. Jusqu’à son émergence, le patrimoine était uniquement ancien. Sa jeunesse est troublante, déstabilisante ».
Dans le cas de l’hôtel de ville de SeptÎles, actuellement dans la tourmente pour diverses raisons, la répétitivité de ses façades arbore un mur-rideau typique de l’époque et une volumétrie rigoureuse caractéristique qui le place au sommet des édifices modernes de la Côte-Nord. Un équivalent de cette époque en plus élevé, l’édifice Lafayette à Québec, a subi il y a quelques années un remodelage réussi de ses façades en mur-rideau, très similaires.
Il y a lieu de croire qu’une telle mise à niveau de l’hôtel de ville de Sept-Îles serait possible et contribuerait, non seulement à sauvegarder l’édifice, mais à lui redonner le lustre et la prestance qu’il mérite. Cette opération rejaillirait du coup sur la ville elle-même, que ce bâtiment demeure l’hôtel de ville ou non, témoignant de la distinction et du pouvoir municipal d’un édifice érigé dans les débuts économiques significatifs de la ville de Sept-Îles.
Repenser sa fonction
Selon nos informations, les espaces actuels de l’hôtel de ville ne correspondent plus aux besoins de la Ville de Sept-Îles. Le bâtiment pourrait être transformé pour accueillir de nouvelles fonctions qui permettraient à toute la population de profiter de ce joyau pour l’instant boudé et méconnu. « La patrimonialisation ne peut se passer de l’adhésion des citoyens », mais si ceux-ci sont les utilisateurs du nouvel équipement, ils en seront les meilleurs ambassadeurs.
Comme exemples de transformation et de nouvelles fonctions, on pourrait penser à une salle d’exposition, à un lieu de création pour les artistes, à une petite salle de spectacles format cabaret, ou encore à des bureaux pour des professionnels ou des associations. La proximité du Centre hospitalier régional offrirait peut-être également la possibilité de recycler l’édifice et de l’intégrer au projet d’agrandissement de l’hôpital. Des usages de bureaux administratifs, de génie biomédical, de consultations ou d’autres fonctions reliées à la santé seraient tout à fait appropriés. Même un nouveau pavillon des employés, avec vestiaires, salles de repos et cafétéria, serait une fonction pertinente et utile à l’ensemble de la communauté.
L’idée même de requalifier le bâtiment, plutôt que de le détruire, aurait certainement un impact positif sur les citoyens en leur donnant l’impression de prolonger la vie utile d’une infrastructure existante plutôt que d’investir dans un nouvel édifice. Par le fait même, la pression de conserver le bâtiment serait partagée non seulement par la Ville, mais aussi par la Société québécoise des infrastructures (SQI) et les différentes instances gouvernementales provinciales concernées.
L’âme d’une ville se compose de plusieurs éléments que l’on découvre à travers le coeur même d’une communauté. Cette âme découle non seulement de la chaleur des habitants et des activités, mais également par ses rues, ses parcs et ses monuments. On le dit souvent, et BGLA adhère à cette maxime : ce que l’on construit aujourd’hui constitue notre patrimoine de demain.
À nous d’en déterminer les composantes les plus significatives de manière à favoriser une meilleure compréhension de cet héritage récent et d’en faire partager les retombées au plus grand nombre.