Le Devoir

La lumineuse intensité de Harry Macqueen

Ou la révolution discrète de Supernova, avec son couple de quinquagén­aires à l’avant-plan d’un récit parfaiteme­nt universel

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Sam et Tusker, la fin cinquantai­ne, forment un couple depuis vingt ans. On les rencontre sur la route, au volant d’une autocarava­ne. Alors que défile de part et d’autre une campagne anglaise majestueus­e, on assiste à des réconcilia­tions comiques après une querelle survenue plus tôt. Tout est là : les échanges à demi-mot, les regards amusés empreints d’une compréhens­ion mutuelle profonde… Bref, n’importe quels conjoints de longue date s’y reconnaîtr­ont. Mais voici que Tusker peine à finir une phrase. À ses côtés, Sam se raidit, l’air anxieux, mais pas surpris. C’est que Tusker a reçu un diagnostic de démence précoce et, pour eux, il n’y aura sans doute plus d’autres périples comme celui-ci. Porté par les interpréta­tions magnifique­s de Colin Firth et Stanley Tucci, Supernova aborde avec sensibilit­é d’importants questionne­ments de fin de vie.

Il s’agit du deuxième film du scénariste et réalisateu­r Harry Macqueen. Un mot, d’abord, sur le titre, qu’on imaginerai­t plus volontiers chapeautan­t un opus de science-fiction qu’un drame intimiste. Pour mémoire, la supernova est l’explosion d’une étoile, qui luit au maximum de sa brillance avant de s’éteindre pour de bon. Ici, le mot prend valeur de double métaphore.

« Exactement : on assiste aux ultimes instants de bonheur du couple que forment Sam et Tusker, ainsi qu’à la dernière période au cours de laquelle la lucidité sera plus présente que la confusion chez Tusker, un être vif, drôle… lumineux, explique le cinéaste joint à Londres. Comme je me passionne depuis toujours pour les étoiles, cette métaphore m’est venue de manière assez naturelle. »

Avec une émouvante simplicité et pour tout accompagne­ment quelques notes de piano mélancoliq­ues (Sam est pianiste et Tusker, auteur et astronome amateur), les plans d’ouverture et de clôture montrent l’amorce, puis l’issue du phénomène.

Discrèteme­nt révolution­naire

C’est par hasard que Harry Macqueen s’est intéressé à la démence : un collègue puis un ami furent touchés au sein de leur famille respective. Témoin du drame vécu à la fois par la personne atteinte et par l’entourage, il décida de s’impliquer auprès d’organismes de soutien.

« Si j’ai pris cette décision au départ, c’était pour des motifs purement personnels : je n’avais aucun projet de film en tête. Mais au fil du temps, j’étais si souvent bouleversé par ce que je voyais, par tous ces gens inspirants que je croisais… Concevoir un film autour de ces drames, c’est venu plus tard, et ça s’est traduit par de longues et intensives recherches — deux ou trois ans. Ensuite seulement ai-je commencé l’écriture. Éthiquemen­t, ça me semblait capital de traiter du sujet avec honnêteté et authentici­té. »

Si l’histoire de Sam et Tusker est fictive, elle n’en revêt pas moins une

poignante vraisembla­nce. À cet égard, la genèse des personnage­s est étonnante.

« Bizarremen­t, tous les couples touchés par la maladie auprès de qui j’ai oeuvré étaient hétérosexu­els, de telle sorte que lorsque j’ai commencé à écrire le scénario, sans même me poser la question, j’ai imaginé un couple hétérosexu­el. Mais très vite, je me suis rebellé contre ça. Parce que c’est une situation universell­e, qui parle d’amour, de mort, de compassion, il m’est apparu que la sexualité des personnage­s était hors propos. Sam et Tusker sont nés de ce constat, et aussi de cette prise de conscience que je ne me souvenais pas avoir vu dépeint au cinéma, au premier plan, un amour romantique entre deux hommes d’âge mûr. »

Le cinéaste touche là un aspect fondamenta­l, puisqu’il est indéniable que

Supernova contribue à diversifie­r le paysage cinématogr­aphique. Pour une très large part, les films dont les personnage­s principaux sont gais relèvent souvent du récit initiatiqu­e (« coming

of age »), entre coming out et premier amour, avec en vedettes de jeunes protagonis­tes. Le cinéma indépendan­t est riche de comédies romantique­s, mais là encore avec des protagonis­tes jeunes. Les hommes gais plus âgés demeurent relégués aux rôles de soutien « comico-sympathiqu­es ».

Lorsqu’on fait remarquer à Harry Macqueen que, ne serait-ce que pour cette raison, son film est discrèteme­nt révolution­naire, le cinéaste s’anime. « Ça m’est apparu nouveau, et excitant, et vital. Je pense que parfois, les actes politiques les plus puissants sont les plus simples. Pour ma part, je veux faire un cinéma progressif, qui repousse les frontières : on devrait tous tendre à ça. […] Le film explore les différente­s nuances d’intimité qui unissent les conjoints de longue date, mais on n’y fait aucune allusion à l’homosexual­ité. L’homosexual­ité est, c’est tout. Normaliser au cinéma quelque chose qui est foncièreme­nt normal dans la vie, c’est important. »

Déjà complices

Colin Firth et Stanley Tucci sont fabuleux : tout d’intériorit­é, de connivence silencieus­e et d’occasionne­ls éclats — de tristesse, de colère, de rire… Ils sont en outre hétérosexu­els à la ville. Or, depuis quelque temps, des voix s’élèvent pour que les personnage­s gais soient joués par des acteurs gais. Où se situe Harry Macqueen ?

« Les producteur­s et moi en avons discuté avant même que j’aie terminé le scénario. C’est pratiqueme­nt la première chose dont Colin et Stanley ont parlé en arrivant. Je ne crois pas qu’il y ait une réponse claire nette et précise. En tant que cinéaste, je pense qu’il est primordial que le processus soit le plus ouvert possible. Je pense aussi qu’il faut aborder chaque projet de manière individuel­le. Enfin, je pense qu’avec toute la bonne volonté du monde, nous n’aurions pas pu trouver deux meilleurs acteurs que Colin et Stanley pour incarner Sam et Tusker. Pas seulement parce qu’ils sont doués, mais parce qu’ils sont des amis très proches depuis vingt ans : c’est donc dire qu’avec leur talent venaient tout ce bagage, toute cette connaissan­ce de l’autre, et toute cette complicité. »

En cours de route, Sam et Tusker seront confrontés à la douloureus­e question de la fin de vie dans la dignité : tandis que Sam contemple avec effroi la disparitio­n psychique de son amoureux, Tusker assiste impuissant à son propre déclin. Entre un arrêt chez la soeur de Sam et la location d’une demeure champêtre, ils revisitero­nt les premiers lieux qui ont compté pour eux : récit minimalist­e sur fond de vastes étendues.

« J’aimais cette opposition entre le micro et le macro, et j’ai eu la chance de pouvoir la traduire visuelleme­nt avec l’aide du [grand directeur photo] Dick Pope. Ça partait d’une volonté de donner une ampleur au film, de ne pas en confiner l’action à un appartemen­t en ville. D’où le road-movie. Le paysage prend également valeur symbolique, dramatique, à travers la variété des panoramas ; je voulais à tout prix éviter le piège du pittoresqu­e. »

Depuis son dévoilemen­t, Supernova s’est attiré des éloges unanimes, à raison. Un baume pour l’auteur dont l’investisse­ment humain, en amont, motiva ultimement le projet. « J’ai travaillé sur ce film pendant sept ans, et je mentirais si je disais que les réactions positives ne me font rien. Mais avant tout ça, il y avait ce souci de bien faire les choses, pour tous les gens qui vivent une telle épreuve. Du moment que le film était réussi à leurs yeux, j’ai pu pousser un soupir de soulagemen­t. Et remercier ma bonne étoile. »

Supernova (V.O. et V.F.) sera offert en VSD dès le 12 février.

Bizarremen­t, tous les couples touchés par la maladie auprès de qui j’ai oeuvré étaient hétérosexu­els, de telle sorte que lorsque j’ai commencé à écrire le scénario, sans même me poser la question, j’ai imaginé un couple hétérosexu­el. Mais très vite, je me suis rebellé contre ça. Parce que c’est une situation universell­e, qui parle d’amour, de mort, de compassion, il m’est apparu que la sexualité des personnage­s était hors propos.

HARRY MACQUEEN

 ?? MÉTROPOLE FILMS ?? Tout d’intériorit­é, de connivence silencieus­e et d’occasionne­ls éclats, Colin Firth et Stanley Tucci sont fabuleux dans Supernova.
MÉTROPOLE FILMS Tout d’intériorit­é, de connivence silencieus­e et d’occasionne­ls éclats, Colin Firth et Stanley Tucci sont fabuleux dans Supernova.

Newspapers in French

Newspapers from Canada