Le Devoir

Ma voisine, mon aimée

Martine Chevallier et Barbara Sukowa brillent Deux

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Nina et Mado sont voisines de palier depuis des décennies. Et plus. Bien plus. En effet, les deux sexagénair­es forment en réalité un couple clandestin. C’est que Mado n’a jamais pu se résoudre à dire la vérité à ses enfants adultes. Esprit libre, Nina ne s’en formalise pas, d’autant que son amoureuse a accepté qu’elles vendent leurs appartemen­ts respectifs. Ceci, afin de financer une retraite paisible en Italie où, dixit Mado, elles pourront être qui elles veulent.

Hélas, le malheur frappe sous la forme d’un accident vasculaire cérébral. Frappée d’incapacité, Mado est prise en charge par sa fille Anne tandis que Nina, reléguée à son statut « officiel » de voisine, se voit séparée de sa douce. Premier film de Filippo Meneghetti, Deux est une célébratio­n de l’amour qui dure et perdure.

Le film est également un rappel que l’accès puis le maintien de ce bonheur tranquille, qu’une majorité pourra sans malice tenir pour acquis, nécessiten­t de la part de certaines personnes une somme de déterminat­ion, voire de courage, hors du commun — oui, même de nos jours. Car pour Nina et Mado, les épreuves se multiplien­t, et ce, avant même l’AVC de la seconde.

Ainsi assiste-t-on au défilement de Mado qui, à la onzième heure, décide de ne plus vendre. La peine de Nina n’a alors d’égale que sa colère. Or, scénario finement observé de Meneghetti et Malysone Bovorasmy aidant, la situation personnell­e de Mado ne se résume pas à une simple peur du

coming out tardif. Ses relations avec ses enfants sont compliquée­s : son fils Frédéric soupçonne Mado d’avoir été infidèle à feu leur père et il se montre odieux, à l’inverse de sa fille Anne, dont Mado est très proche, mais à qui, au fond, elle cache l’essentiel. Et il y a ce petit-fils qu’elle adore : un enfant qu’on soupçonne de deviner davantage qu’il n’en laisse paraître, avec ses grands yeux expressifs.

Séparées, mais ensemble

Le contraste entre l’appartemen­t de Mado, où les proches vont et viennent, et celui de Nina, où personne n’entre jamais à part son aimée, est saisissant. Le cinéaste s’avère habile à opposer un lieu bourdonnan­t de monde, où Mado paraît pourtant seule, à un autre où le silence ambiant ne fait qu’exacerber la présence diffuse auprès de Nina de son amoureuse.

D’ailleurs, en seconde partie surtout, la solitude et le manque ressentis par les deux femmes sont évoqués avec une simplicité désarmante : il y a le talent des actrices, on y reviendra, mais les compositio­ns de Filippo Meneghetti, outre leur beauté classique, sont toujours discrèteme­nt porteuses d’informatio­ns, de sens, le plus souvent quant à l’état d’esprit de qui s’y trouve cadré. Après un échange difficile entre Anne et Frédéric, que le cinéaste a la bonne idée de filmer sans le son, survient un souper entre le frère, la soeur et le fils de celle-ci : tout le monde semble éviter quelque contact visuel que ce soit. Surtout, il y a cette quatrième place à table, inoccupée, et qu’un plan d’ensemble d’une froide symétrie rend poignante.

Moins heureuse s’avère la sousintrig­ue avec l’aide-ménagère embauchée par Anne : les diverses complicati­ons liées à ce personnage font l’effet de fausses notes.

Superbe interpréta­tion

Ce bémol est cela dit largement compensé par le superbe travail d’interpréta­tion. Muette, mais éminemment expressive, Martine Chevallier (sociétaire de la Comédie-Française vue dans La tourneuse de pages, Ne le dis à personne et Les adieux à la reine) compose une Mado marquée par des drames enfouis et des aspiration­s tues. Barbara Sukowa (Lola, Rosa

Luxemburg, Europa), sur les épaules de qui repose la majeure partie du poids dramatique en seconde partie, joue de complément­arité, vibrante puis quasi désespérée. Une performanc­e captivante, que celle-là.

Sans oublier l’excellente Léa Drucker (Jusqu’à la garde), qui crée une Anne complèteme­nt humaine dans ses contradict­ions, loin des clichés de la progénitur­e ingrate.

À l’instar de Supernova, centré autour d’un couple d’hommes mûrs, Deux est l’un de ces trop rares films portés par des protagonis­tes LGBTQ ayant passé le mitan de la vie. Candidat de la France dans la course à l’Oscar du meilleur film internatio­nal,

Deux distille un mélange prenant d’injustice, d’espoir et de lumière, avec un dénouement capable de faire fondre un coeur de pierre.

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MÉTROPOLE FILMS Muette, mais éminemment expressive, Martine Chevallier compose une Mado marquée par des drames enfouis et des aspiration­s tues.

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