Le Devoir

Des artistes refusent de se laisser éteindre

Des personnes ont tenu à rappeler, dimanche, que les arts vivants sont aussi un service essentiel

- CULTURE MAGDALINE BOUTROS

« La manifestat­ion est actuelleme­nt la seule possibilit­é pour nous d’exister dans la sphère publique », soulignait l’auteur et metteur en scène Hugo Fréjabise, organisate­ur de « Ceci n’est pas un spectacle ». Dimanche après-midi, dans la froideur de février, quelques centaines de personnes se sont réunies sur la place des Festivals à Montréal pour une manifestat­ion qui n’était « pas un spectacle », mais au cours de laquelle des prestation­s de comédiens, de slameurs, de musiciens et de danseurs se sont enchaînées pour rappeler au public — et pourquoi pas au gouverneme­nt aussi — que les arts vivants sont aussi un service essentiel.

« Ça me fait un bien fou d’écouter toutes ces paroles, soufflait, bien emmitouflé­e, Charlotte Devyver, qui assistait à cette prise de parole avec ses amies marionnett­istes. Toute la population a besoin de ça en ce moment. On a besoin de retrouver les mots, de retrouver la poésie. »

Au micro — sur lequel une coque en mousse était changée entre chaque performanc­e —, les mots ont paradé. Ils ont fait rêver, ils ont émerveillé, ils ont bousculé en glissant un à un jusqu’aux oreilles du public, privé depuis près d’un an d’arts vivants qui se déployaien­t tout juste là, sous leurs yeux.

Sur les rythmes de djembés et sous l’oeil distrait de quelques policiers, les mots ont aussi revendiqué. « Nous refusons de nous laisser éteindre, a fait résonner la comédienne Esther Duplessis dans un centre-ville quasi désert. Ce spectacle qui n’est pas un spectacle, on a tout mis dedans : notre désir, notre dissidence, nos aspiration­s à des rêves plus vastes, […] notre insondable déception devant les choix faits par ceux qui nous gouvernent en ce moment, notre colère légitime. »

Plus que la télé et YouTube

La culture, c’est bien plus que la télévision et ses têtes d’affiche qui ont, dans plusieurs cas, repris le travail, ont répété les artistes de la relève qui ont incarné pendant plus d’une heure cet appétit dévorant pour la création et la performanc­e. « On veut rappeler qu’on existe », a ajouté en aparté Esther Duplessis.

Une existence qui va au-delà des prestation­s virtuelles. « C’est méprisant de nous renvoyer à YouTube et à la popularité des clics en proposant ce virage numérique où on est vus comme des youtubeurs en puissance », laisse tomber Hugo Fréjabise en entrevue. « On sait que les épidémies vont se multiplier, on ne peut pas uniquement réagir en termes assez précaires d’enfermemen­t. On peut l’accepter un temps, mais pas à long terme. »

Un an après le début de la pandémie, la société québécoise doit sortir du binôme « essentiel-non essentiel », avancet-il, sans toutefois remettre en question l’urgence sanitaire actuelle. « On nous fait croire qu’il y a une ontologie de l’essentiel et du non essentiel, que des choses le sont et que d’autres ne le sont pas, alors que c’est un débat partisan. Je ne dis pas que c’est faux, mais je dis que c’est une idéologie politique dont on peut et dont on doit discuter. »

D’autant que les centres commerciau­x et les coiffeurs rouvrent, soulignait Pierre Alarie, un « spectateur assidu » qui s’était déplacé à la place des Festivals pour appuyer le milieu culturel. « On déconfine pour protéger la santé mentale des Québécois, mais on les envoie dans les commerces, alors que ça leur ferait sûrement plus de bien d’aller vers la culture. »

Une culture qui nourrit, qui fait réfléchir, qui rassemble et dont le caractère essentiel demeure tout aussi présent, sinon plus en ces temps extrêmes, estimet-il. « Je sors changé à chaque pièce de théâtre que je vois. Ça m’enrichit et ça améliore ma compréhens­ion du monde. »

Hugo Fréjabise espère récidiver en organisant prochainem­ent d’autres manifestat­ions qui « ne sont pas des spectacles ». Pour nourrir le public et pour nourrir les artistes. « À travers les écrans, il n’y a pas de résonance, faisait valoir Anne-Marie Cardin, marionnett­e et pancarte “Non à la mort des arts vivants” à la main. On ne peut pas satisfaire le public et les artistes comme ça. »

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Le rassemblem­ent pour défendre les arts vivants en temps de pandémie a eu lieu sur la place des Festivals, à Montréal.

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