Le Devoir

Se débarrasse­r de la monarchie

- ROBERT DUTRISAC

Il aura fallu une gouverneur­e générale tyrannique et mal engueulée pour remettre à l’ordre du jour l’abolition de la monarchie au Québec. Il y a quelques années, c’était une lieutenant­e-gouverneur­e fraudeuse qui avait ravivé l’intérêt pour qu’on tire un trait sur ce symbole colonial. Mais il ne faut pas croire que ce sont les frasques de ces monarques d’opérette qui devraient justifier que le chef suprême du Canada et du Québec ne soit plus une reine ou un roi britanniqu­e. Nous aurions des roitelets au comporteme­nt exemplaire pour représente­r en sol canadien une couronne étrangère que le changement s’imposerait quand même. De fait, c’est la monarchie qui est une anomalie au Canada et c’est le maintien de cet anachronis­me qui n’a pas de sens. C’est aux monarchist­es de faire la démonstrat­ion que cette sujétion n’est pas qu’un vain et servile atavisme. Nous leur souhaitons bonne chance.

En Australie, on prévoit couper les liens avec la Couronne britanniqu­e à la fin du règne d’Élisabeth II, et la Nouvelle-Zélande devrait lui emboîter le pas. Les deux tiers des membres du Commonweal­th sont aujourd’hui des république­s. Comme le souligne le constituti­onnaliste André Binette, qui vient de lancer un regroupeme­nt voué à l’abolition de la monarchie au Québec, le Canada, d’ici quelques années, sera le seul pays développé à conserver la monarchie britanniqu­e, mis à part évidemment le Royaume-Uni.

L’abolition de la monarchie fait l’objet d’un large consensus au Québec, et ce, depuis longtemps. Selon un sondage Léger publié dans les journaux de Québecor après le départ de Julie Payette, les trois quarts des Québécois sont favorables à ce qu’on mette fin à la monarchie. C’est une constante : d’autres sondages montrent que ce souhait est partagé par près de 70 % de la population.

Dans son programme intitulé Un nouveau projet pour les nationalis­tes du Québec, la Coalition avenir Québec avait placé l’abolition de la fonction de lieutenant-gouverneur dans la liste de ses revendicat­ions. Or au cabinet de la ministre responsabl­e des Relations canadienne­s, Sonia LeBel, on écarte d’emblée la possibilit­é de confirmer cet engagement, avançant qu’avec la crise sanitaire, les Québécois ont d’autres priorités.

La pandémie a le dos large. De toute façon, c’est une démarche de longue haleine qui commence par une demande formelle adressée au gouverneme­nt fédéral. Il peut apparaître surprenant que le gouverneme­nt Legault ne daigne pas défendre ce consensus, alors qu’il se targue de respecter ses engagement­s et d’être au diapason du peuple québécois.

Les vraies raisons sont ailleurs. Aux côtés de souveraini­stes qui ont renoncé à leur idéal ou qui le gardent dans leur manche, on retrouve au sein de la CAQ des libéraux fédéraux ainsi que des conservate­urs de l’ancienne ADQ, d’ardents fédéralist­es comme de plus indifféren­ts. Après le départ de Gérard Deltell pour le Parti conservate­ur du Canada, il doit bien aussi rester quelques monarchist­es, militarist­es et amoureux du Canada parmi les caquistes.

Or toute initiative qui pourrait raviver un tant soit peu la flamme souveraini­ste est perçue négativeme­nt par les fédéralist­es de la CAQ. Ils se méfient des cryptosouv­erainistes qu’ils pourraient côtoyer. On se rappellera d’ailleurs l’émoi qu’avait causé en 2012 François Rebello en déclarant que la CAQ pourrait aider le Québec à faire la souveraine­té. Depuis, les souveraini­stes dans le parti doivent taire leurs conviction­s tandis que les fédéralist­es ne sont pas tenus de cacher les leurs.

C’est une situation paralysant­e pour un gouverneme­nt qui entend défendre la nation québécoise et faire en sorte qu’elle « soit mieux reconnue et dispose d’une plus grande autonomie politique et économique dans l’ensemble canadien », comme il est écrit dans le programme caquiste. Strictemen­t défensive, la stratégie, si on peut en déceler une, peut maintenant se résumer à entretenir de petites chicanes sans conséquenc­e avec Ottawa, un jeu dans lequel Jean Charest était passé maître.

Or la donne pourrait changer. Le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, a promis de tenir un référendum sur l’abolition de la péréquatio­n pour ensuite lancer des négociatio­ns constituti­onnelles avec Ottawa et les autres provinces. Pour ce faire, il utiliserai­t le moyen qu’a défini la Cour suprême dans son Renvoi relatif à la sécession et qui oblige la tenue de telles négociatio­ns si les élus d’une province, ou sa population par la voie d’un référendum, réclament formelleme­nt des changement­s à la Constituti­on. Si Jason Kenney va de l’avant, le gouverneme­nt du Québec n’aura d’autre choix que d’entrer dans la danse. Un jour ou l’autre, François Legault ne pourra plus se réfugier derrière la pandémie.

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