Le Devoir

Entre mots, maux et animaux

PETA remet en cause des formules linguistiq­ues qui assoient la « suprématie » de l’humain

- Benoit Bouzigues Doctorant en histoire à l’Université de Montréal

Vous avez sans doute déjà utilisé ou entendu des expression­s comme « avoir une cervelle de moineau », « poule mouillée » et « sale cochon » ! Il s’agit de métaphores animalière­s pas très agréables à entendre quand elles nous sont destinées.

C’est dans une volonté de combattre ce genre d’injures que PETA (People for the Ethical Treatment of Animals) a appelé dans un tweet, le 16 janvier, à bannir du langage les expression­s et les mots qui peuvent être insultants pour les animaux non humains. L’associatio­n estime que « les mots peuvent créer un monde plus inclusif ou perpétuer l’oppression ». Selon elle, certaines expression­s animalière­s du langage commun pourraient être considérée­s comme un moyen d’asseoir la « suprématie » de l’humain.

Ce n’est pas la première fois que PETA remet en cause les formules linguistiq­ues dites « anti-animaux ». En décembre 2018, dans un autre tweet, elle affirmait que : « Tout comme il est devenu inacceptab­le d’utiliser des insultes racistes ou homophobes, il est temps que les phrases qui banalisent la cruauté envers les animaux disparaiss­ent et qu’on apprécie les animaux pour ce qu’ils sont. » Le rapport entre les remarques discrimina­toires, racistes et homophobes et les métaphores animalière­s a été très mal reçu par la majorité des internaute­s, qui, de plus, avaient peine à voir comment des expression­s de la vie courantes pourraient justifier et « banaliser la cruauté » contre la faune.

Bien que l’on puisse reconnaîtr­e à PETA le mérite de remettre en question nos rapports lexicaux avec la faune, nous pouvons douter de ses allégation­s, tout comme de son intention générale. Dans sa réflexion, l’associatio­n ne fait pas la distinctio­n entre l’animal réel et l’animal allégoriqu­e. En effet, lorsque l’on dit se « faire prendre pour un pigeon », faisons-nous référence à l’oiseau réel ou à la représenta­tion imaginée que l’humain a construite autour du volatile ?

Inconsciem­ment, la majorité des personnes séparent l’animal biologique et vivant des croyances et des représenta­tions qui lui sont attachées. Et c’est bien de ces dernières qu’il s’agit dans les expression­s et les termes que veut interdire PETA. Les chances sont donc bien minces qu’elles puissent inciter quiconque à réaliser des actes de maltraitan­ce ou de cruauté envers la faune.

Imaginaire collectif

Notons aussi que l’associatio­n ne souhaite s’attaquer qu’aux termes péjoratifs rattachés à certains animaux. Il convient de se questionne­r quant à la direction de l’insulte dans ce genre d’expression. Quand la lenteur physiologi­que du paresseux est comparée au vice humain qu’est la paresse, il me semble que c’est l’humain qui en ressort plus insulté que le paresseux, qui est un être lent par son régime alimentair­e.

PETA paraît d’ailleurs oublier qu’il existe aussi des expression­s positives qui mettent en scène la faune : « courageux comme un lion », « une mémoire d’éléphant », etc. Doit-on également condamner ces métaphores ?

Qu’elles soient méliorativ­es ou péjorative­s, les formules animalière­s contempora­ines sont le fruit des caractéris­ations et des représenta­tions qu’ont construite­s les humains autour des animaux non humains au cours de son histoire. Elles sont même parfois tirées d’oeuvres culturelle­s importante­s.

Par exemple, l’expression « se tailler la part du lion » vient de la fable de La Fontaine La génisse, la chèvre et la brebis, en société avec le lion. Un autre exemple peut être donné avec la fourberie du serpent, dont la mention la plus connue provient de l’Ancien Testament avec l’épisode du fruit défendu mangé par Ève. Cette image transcende les périodes et est encore présente aujourd’hui dans certains objets de la culture de masse. Il suffit de penser aux personnage­s de Kaa dans le Livre de la Jungle de Disney (adapté de Kipling) ou de Persifleur dans Robin des bois et même à la maison Serpentard dans Harry Potter.

En dehors de l’appauvriss­ement lexical et linguistiq­ue assuré qu’apporterai­t l’interdicti­on de ces métaphores animalière­s dans le langage humain, elle toucherait aussi notre imaginaire collectif et nos représenta­tions culturelle­s animalière­s. Je suis toutefois persuadé que ces expression­s gagneraien­t à être utilisées comme des moyens pédagogiqu­es pour en apprendre davantage sur les différente­s espèces animales, mais aussi sur nos propres perception­s imaginées et collective­s de la faune.

Par exemple, la comparaiso­n entre un homme sale et un cochon devient tout de suite absurde lorsque l’on sait qu’il s’agit sans doute de l’un des animaux les plus propres qui existent. En fait, ce qui est sale, ce n’est pas tant le cochon que la porcherie dans laquelle il est élevé aujourd’hui, porcherie conçue et pensée par les humains.

Ainsi, les métaphores animalière­s permettrai­ent, par un enseigneme­nt auprès du grand public, de combattre les stéréotype­s tenaces qui collent à certaines espèces animales. Et au vu du nombre de métaphores animalière­s, ce serait un vrai travail de fourmi !

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