Une poursuite civile pourrait faire la lumière sur l’affaire Camara
Des manifestants ont réclamé justice, dimanche, devant le quartier général du SPVM
Une poursuite civile pourrait révéler ce qui a cloché dans l’affaire Camara, de l’avis de l’avocat de l’homme noir arrêté par erreur pour une agression sur un policier et pour qui quelque 200 manifestants ont réclamé justice devant le quartier général de la police de Montréal, dimanche.
« Ce qu’on peut comprendre dans ce dossier-là, c’est qu’il n’y a pas eu de présomption d’innocence », a dit Me Cédric Materne, avocat de Mamadi III Fara Camara, sur le plateau de l’émission Tout le monde en parle, dimanche soir.
L’avocat criminaliste dit qu’il ne représentera plus M. Camara, puisque celui-ci a été officiellement disculpé vendredi au moyen d’une preuve ADN. « M. Camara regarde ses options. Il est entouré d’avocats qui regardent le tout », a indiqué Me Materne, précisant qu’une action civile pourrait « très probablement » apporter des réponses « aux questions qu’on se pose ».
La preuve qu’il a pu consulter, comprenant une bande vidéo et les déclarations de « beaucoup de témoins », aurait dû écarter M. Camara de la liste des suspects, de l’avis de Me Materne. Ces informations « ne semblent pas avoir été vérifiées ». L’avocat n’a pas voulu dire si, selon lui, son client a été victime de profilage racial.
M. Camara a été arrêté par erreur le 28 janvier et accusé d’avoir agressé le policier qui l’avait arrêté pour un contrôle routier plus tôt ce jour-là. Les six jours qu’il a passés derrière les barreaux par la suite ont scandalisé une partie de la population et de la classe politique. Le SPVM a officiellement présenté ses excuses à M. Camara, vendredi. Cela signifie que le véritable auteur de l’agression est toujours en liberté.
Manifestation
Les excuses du chef de police n’ont pas satisfait les manifestants qui se sont donné rendez-vous dimanche après-midi devant les bureaux du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Le cortège comptant plusieurs dizaines de personnes visait à dénoncer l’arrestation et la détention de M. Camara, événement déploré comme un autre exemple de profilage racial.
« On demande une responsabilisation des policiers. Que les politiciens considèrent sérieusement la question de définancer la police », a expliqué au Devoir l’organisatrice, Marlihan Lopez. Derrière elle était accrochée une grande banderole sur laquelle on pouvait lire « Defund la police », adaptation en franglais de l’expression chère aux manifestations qui ont suivi la mort de George Floyd aux États-Unis, plus tôt cette année.
En plus de scander « justice pour Camara », divers groupes présents ont saisi l’occasion pour critiquer tout ce qui cloche dans la relation entre la police et les communautés noires, du profilage racial à l’absence de reconnaissance du racisme systémique par Québec, en passant par la disproportion entre les budgets du SPVM et ceux des groupes communautaires.
Des représentants des groupes Black Lives Matter Montréal, Hoodstock, Tout le hood en parle et la Coalition pour le définancement de la police ont pris la parole devant le groupe de manifestants, où le port du couvre-visage était la norme. Une importante présence policière a bouclé un tronçon de la rue Saint-Urbain, inaccessible aux voitures en après-midi. Des agents antiémeutes étaient également bien visibles, mais n’ont pas dû intervenir puisque tout l’événement s’est déroulé dans le calme.
« Ça ne changera jamais ! »
« Moi, je l’ai vécue, la brutalité. On m’arrête toujours pour n’importe quoi. Ça ne changera jamais ! », raconte Maxime Aurelien, venu apporter son soutien à M. Camara et dénoncer ce qu’il perçoit comme de la brutalité policière. De mémoire, le père de famille de 54 ans peut citer de très nombreux exemples où il a senti que des policiers l’ont arrêté à cause de la couleur de sa peau.
« Ce qui me fâche, c’est que les policiers nous voient comme un bloc monolithique, et sont incapables de nous différencier. Souvent, la seule description d’un suspect est qu’il est noir », se désole Sissi Nze, 29 ans, venue manifester avec son amie Madjina Coly. « Je peux comprendre que, sur le coup, les policiers [qui ont arrêté Mamadi Camara] avaient des émotions et se sont trompés, ils sont humains, rajoute cette dernière. Ce que je trouve dommage, c’est que ça a pris six jours pour corriger l’erreur. » Les deux femmes croient que les services policiers ont besoin de plus d’éducation, mais pas nécessairement de moins de financement. « Nous en aurons besoin de la police, nous aussi, à un moment donné », conclut Mme Nze.
De la musique a clos les discours, transformant une partie de la rue Saint-Urbain en piste de danse à ciel ouvert, vers 16 h, alors qu’une tout autre manifestation, pour la survie des arts vivants, s’y est jointe.