Le Devoir

Québec veut revoir les règles d’urbanisme

Le gouverneme­nt souhaite se doter d’une Stratégie nationale d’urbanisme et d’aménagemen­t des territoire­s

- JEANNE CORRIVEAU LE DEVOIR

Québec a lancé un vaste chantier afin de dépoussiér­er la Loi sur l’aménagemen­t et l’urbanisme, qui n’a pas fait l’objet de refonte majeure depuis 1979. Les consultati­ons menées au cours des prochains mois s’attarderon­t sur des sujets aussi divers que l’étalement urbain, la gestion des inondation­s, la protection du patrimoine, la préservati­on des terres agricoles et la fiscalité. L’exercice conduira à l’élaboratio­n, dans un an, d’une Stratégie nationale d’urbanisme et d’aménagemen­t des territoire­s.

« Ça fait 15 ans qu’on attend ça, alors on est très heureux », lance d’emblée le président de l’Ordre des urbanistes du Québec, Sylvain Gariépy. Depuis 2006, l’Ordre réclame une politique nationale sur l’aménagemen­t. L’Alliance ARIANE, un regroupeme­nt d’organisati­ons créé en 2015, en a d’ailleurs fait son cheval de bataille. « L’aménagemen­t du territoire est souvent dans l’angle mort des gouverneme­nts. Et pourtant, dès qu’on sort de chez nous, c’est le premier contact quotidien avec le territoire. »

Comme 14 autres organisati­ons, l’Ordre a été invité par la ministre des Affaires municipale­s, Andrée Laforest, à siéger au comité consultati­f qui accompagne­ra le gouverneme­nt dans sa démarche. Au cours des prochains mois, des consultati­ons seront menées dans différente­s régions du Québec, un exercice qui se conclura par la publicatio­n de la Stratégie au printemps 2022. « On a besoin d’une vision d’aménagemen­t du territoire et il faut qu’on développe des réflexes de cohérence », explique Sylvain Gariépy.

Dézonage et controvers­e

L’élaboratio­n de cette Stratégie n’aura pas d’effets à court terme, prévient Christian Savard, directeur général de Vivre en ville. « La Loi sur l’aménagemen­t et l’urbanisme ne sera pas réformée en un an, dit-il. Mais qu’une ministre lance une telle conversati­on, c’est quand même quelque chose de majeur. »

Selon lui, le controvers­é dézonage agricole autorisé dans la MRC de Montcalm par le gouverneme­nt de la CAQ en octobre dernier a été le déclencheu­r du chantier de la Stratégie nationale. « La ministre des Affaires municipale­s s’est fait bardasser. Elle avait l’air de celle que ça ne dérangeait pas. On s’est rendu compte qu’il y avait un problème et que la société québécoise n’acceptait plus de telles situations. »

Toutefois, une Stratégie nationale ne viendra pas tout régler. La première étape, qualifiée de « conversati­on » avec des acteurs de tous les horizons, comme les villes, les groupes écologiste­s, les chambres de commerce, les ordres profession­nels et les nations autochtone­s, servira à déterminer de grandes orientatio­ns en matière d’aménagemen­t. Au terme de l’exercice, un plan d’action sera nécessaire, avance Christian Savard, qui croit que des modificati­ons législativ­es pour appliquer ces principes suivront. Un travail qui s’annonce de longue haleine.

À l’heure actuelle, plusieurs lois, comme celle sur l’aménagemen­t et l’urbanisme, celle sur la protection du territoire et des activités agricoles et la Loi sur les biens culturels, influent sur l’aménagemen­t du territoire. Sylvain Gariépy avance qu’au terme de l’exercice, le gouverneme­nt pourrait faire adopter une seule loi-cadre dans laquelle seraient inclus tous les volets de l’aménagemen­t du territoire. « Mais peu importe ce qui sera décidé, à la fin de tout ça, il faut qu’il y ait une plus grande cohérence dans nos interventi­ons, dit-il. Ainsi, si on veut construire un hôpital ou une Maison des aînés, il faut qu’on se réfère à cette loi sur l’aménagemen­t du territoire. Aménager à coups de décrets, ce n’est pas une bonne idée. »

Mieux planifier

Comment pourraient s’appliquer ces principes ? Béatrice Alain, directrice générale du Chantier de l’économie sociale, cite le cas du développem­ent immobilier. La Stratégie nationale pourrait mener à l’imposition de balises pour s’assurer que, dans les projets de développem­ent résidentie­l, des espaces pour les écoles, les commerces et les services de proximité sont prévus en amont. « Griffintow­n est le pire exemple. Il y a plein de condos, et personne n’avait pensé que ça prendrait des écoles, des CPE et des épiceries autour », indique-t-elle.

La Stratégie pourrait aussi permettre de revoir les pratiques en matière de gestion des inondation­s avec une vision plus globale, de manière à mieux protéger les milieux vulnérable­s et à adapter les interventi­ons qui ne doivent pas être appliquées uniquement en fonction des frontières administra­tives des villes.

Pour le président de la Fédération québécoise des municipali­tés et maire de Sainte-Catherine-de-Hatley, Jacques Demers, la question de la protection des terres agricoles sera primordial­e. Un enjeu qui exige un jeu d’équilibre parfois délicat. « La Loi sur la protection des terres agricoles a plus de 40 ans et elle a besoin d’être revue. Près des grands centres urbains, il y a eu plus rapidement de l’empiétemen­t sur les terres agricoles, alors que, dans certains villages, cette loi n’a pas permis la constructi­on de quelques maisons qui aurait pu garder l’école ouverte », dit-il.

Les villes tiennent toutefois à leur autonomie. Selon M. Demers, si un cadre global est élaboré pour l’ensemble du

Mais peu importe ce qui sera décidé, à la fin de tout ça, il faut qu’il y ait une plus grande cohérence dans nos interventi­ons. Ainsi, si on veut construire un hôpital ou une Maison des aînés, il faut qu’on se réfère à cette loi sur l’aménagemen­t du territoire. Aménager à coups de décrets, ce n’est pas une bonne idée.

SYLVAIN GARIÉPY

territoire québécois, les décisions doivent être prises à l’échelle locale. Il applique la même logique au patrimoine et à la protection des milieux naturels, deux enjeux qui font régulièrem­ent la manchette.

Adopté en 2012, le Plan métropolit­ain d’aménagemen­t et de développem­ent (PMAD), qui a permis de déterminer des périmètres d’urbanisati­on, a pu freiner l’empiétemen­t sur les terres agricoles sur le territoire de la Communauté métropolit­aine de Montréal (CMM). Faudrait-il étendre ce concept à l’échelle du Québec ? Christian Savard ne le croit pas. « Il faudra faire attention aux particular­ités régionales. Contenir l’étalement urbain, c’est plus important à Montréal qu’à Baie-Comeau », souligne-t-il.

Diversité des voix

Avec des acteurs aux intérêts parfois divergents, la conversati­on souhaitée par le gouverneme­nt pourrait devenir cacophoniq­ue. « Il ne faudrait pas que ça devienne un jeu de tirage de couverture­s, mais j’ai foi [dans le fait] que les gens vont être capables de se tenir au-dessus de la mêlée au-delà de leurs propres intérêts », estime Sylvain Gariépy.

Béatrice Alain croit pour sa part que la participat­ion d’organisati­ons comme la Fédération des chambres de commerce et le Conseil du patronat aux côtés de groupes écologiste­s et sociaux démontre une volonté commune d’améliorer l’aménagemen­t des territoire­s.

« Il faudra des arbitrages courageux si on veut avancer. Les forces du statu quo sont importante­s. C’est un danger réel, mais la mobilisati­on est là dans la société civile », signale de son côté Christian Savard.

La future Stratégie nationale fera d’ailleurs partie des discussion­s d’un colloque virtuel lundi. La ministre des Affaires municipale­s, Andrée Laforest, et le ministre de l’Environnem­ent, Benoit Charette, figurent parmi des invités qui prendront la parole lors de cet événement organisé par G15, un collectif regroupant des leaders des milieux économique­s, syndicaux, sociaux et environnem­entaux.

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GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR La Stratégie nationale pourrait mener à l’imposition de balises pour s’assurer que, dans les projets de développem­ent résidentie­l, des espaces pour les écoles et les services de proximité sont prévus en amont.

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