Rodhain Kasuba, rebâtisseur d’églises
Le Congolais a vu des dizaines de prêtres d’Afrique comme lui combler le vide dans les églises québécoises
Dans son église vidée de ses fidèles, Rodhain Kasuba ne désespère pas. Malgré les messes virtuelles, malgré les paroissiens emportés par le damné virus, « je vis ce temps comme une bénédiction », proclame le curé gatinois. « La COVID, c’est une douleur, quelque chose de difficile. Mais, ça nous invite à nous tourner vers l’essentiel », raconte-t-il d’une voix apaisante. L’« essentiel », c’est de redevenir « pertinent » auprès des démunis. « Nous aurons beau faire de belles liturgies, mais il faut que la liturgie nous amène vers des actions concrètes. »
« Je viens d’un pays où les églises sont remplies, remplies, remplies de monde, dit le Congolais d’origine. C’est beau, mais ça ne me parle vraiment plus beaucoup. Pour moi, une belle église est une église qui agit aussi. »
L’action religieuse de Rodhain Kasuba débute en 1999, dans les petits villages au nord de Gatineau. Depuis, il a vu l’Église d’ici changer, tout comme la couleur des prêtres. « Quand je suis arrivé, on était 2 prêtres africains. Maintenant, on est au moins 14. »
Malgré les doigts pointés et le profond sentiment d’être étranger, il ne s’est jamais formalisé des regards inquisiteurs. « Face à la différence, on est un peu méfiant. Je me souviens, quand les missionnaires belges sont arrivés chez moi, ils étaient barbus. Les gens avaient peur. Les gens pensaient que c’étaient des revenants. Alors je me disais que c’était la même chose pour moi à la campagne. Les gens ne sont pas habitués à voir un Noir à la campagne. »
Le jeune curé finit par trouver son public en étudiant la tradition catholique locale. « Surtout, ne cherchez pas à amener l’Église d’Afrique ici », fait-il souvent remarquer aux prêtres africains qui débarquent. « C’est deux manières différentes de vivre la foi. N’imposons pas la manière de vivre de l’Église d’Afrique ici. Au contraire, il faut comprendre l’histoire d’ici. Si nous connaissons l’histoire, nous aurons un discours proche des gens. »
Une passion pour l’hiver et la gastronomie du terroir l’aident aussi à tisser des liens avec les fidèles. « C’était important de laisser mourir en moi des choses qui me paraissaient évidentes, parce que, quand j’étais au Congo, la seule culture que je connaissais, c’était ma culture. C’était le centre du monde. Là, je vois qu’il y a une autre culture.
Alors, il est important qu’il y ait des choses qui meurent en moi pour me permettre de m’ouvrir à la culture d’ici. »
Une autre Église
Sans poignées de mains, ni hosties, ni célébrations à l’église, le rite catholique n’est plus que l’ombre de lui-même, concède Rodhain Kasuba. « La COVID nous révèle que l’Église est devenue de plus en plus fragile. J’ai l’impression qu’il y a des personnes qui ne reviendront plus à la messe, même après la pandémie. »
Mais la foi catholique n’est pas morte au Québec. Jusqu’à 400 personnes suivent encore les messes du curé Kasuba sur Internet. Et puis le public se renouvelle, qu’il soit d’Europe, d’Afrique ou d’Amérique du Sud. « Chaque semaine, il y a une nouvelle famille qui arrive. » Les manières de pratiquer les rites évoluent. « Nous avons maintenant une célébration interculturelle, qui est dite majoritairement en français, mais avec des parties en arabe, en langues africaines, en espagnol, en anglais. »
Le vide créé par le désistement de la population québécoise pour la question religieuse ouvre la porte au renouvellement, laisse-t-il supposer. « Un verre pas rempli, c’est un verre dans lequel on peut mettre des choses. » Il fait remarquer que l’Église des derniers siècles asseyait son message sur la construction d’hôpitaux et d’écoles. À l’inverse, les prêtres du XXIe siècle qui effectuent le chemin vers l’Occident débarquent sans le sou. « Comment pouvons-nous participer positivement, contribuer positivement à la société ? La COVID est là pour nous aider à réfléchir là-dessus. »
« Dans l’histoire, il y a eu des missionnaires de l’Occident qui sont allés en Afrique. Si l’Église d’Afrique est née, c’est grâce à eux. Je ne veux pas comparer, mais ces fruits-là peuvent être bons pour le monde entier. Nous sommes le fruit des missionnaires occidentaux. Peut-être qu’à notre tour, nous avons des fruits que nous pouvons partager. »
Le vide créé par le désistement de la population québécoise pour la question religieuse ouvre la porte au renouvellement