L’ONU inquiète de la loi canadienne sur l’aide à mourir
C’est au tour de l’ONU de s’inquiéter de la volonté canadienne d’élargir l’aide médicale à mourir. L’abolition du critère de fin de vie risque d’envoyer le message que la vie des personnes avec un handicap a moins de valeur que les autres.
Le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits des personnes handicapées, Gerard Quinn, a envoyé lundi une lettre aux sénateurs canadiens alors qu’ils entamaient l’analyse finale du projet de loi du gouvernement de Justin Trudeau. « Nous aimerions exprimer notre préoccupation quant à l’élargissement du droit à une mort médicalement assistée aux personnes avec un handicap n’étant pas en fin de vie », écrit M. Quinn ainsi que deux autres observateurs onusiens, soit Claudia Mahler (personnes âgées) et Olivier De Schutter (pauvreté extrême).
L’abolition du critère de fin de vie proposé par Ottawa « risque de renforcer, même involontairement, des a priori capacitistes et âgistes à propos de la valeur de la vie des personnes handicapées ou âgées », écrit le trio onusien. « Il y a une préoccupation grave que, si l’aide à mourir est rendue accessible à toutes les personnes ayant un problème médical ou une déficience, indépendamment du fait qu’ils soient proches de leur mort ou non, il s’ensuivra une présupposition qu’il vaut mieux être mort que de vivre avec un handicap. »
Les trois signataires estiment que le projet de loi d’Ottawa semble violer la Déclaration universelle des droits de l’homme et qu’il placera le Canada en contravention de ses obligations internationales. M. Quinn enseigne en Irlande. Il n’a pas été possible de lui parler.
Le projet de loi C-7 qui s’attire autant de critiques se veut une réponse au jugement de 2019 qui avait invalidé le critère de mort raisonnablement prévisible. Le C-7 fait donc en sorte que toute personne aux prises avec un problème de santé « grave et irrémédiable » lui causant des souffrances « persistantes » et « intolérables » pourra demander de l’aide pour mettre fin à ses jours, qu’il lui reste un mois ou une décennie à vivre. Le C-7 resserrerait le régime pour les personnes n’étant pas en fin de vie, notamment en instaurant une période de réflexion de 90 jours entre l’approbation d’une demande de mort et l’exécution de celle-ci. Pour les personnes dont la mort est prévisible, ce délai de réflexion, qui était de 10 jours, est aboli.
Amendements en vue
Le projet de loi doit encore être adopté par le Sénat, qui a entamé la dernière étape de l’étude lundi. Les sénateurs ont plusieurs préoccupations. Certains trouvent le C-7 trop permissif (et proposent par exemple de restaurer le délai de 10 jours), d’autres le trouvent au contraire encore trop restrictif et discriminatoire, notamment parce qu’il traite différemment les malades selon qu’ils sont en fin de vie ou pas. Plusieurs sénateurs s’opposent aussi à ce que les personnes atteintes uniquement d’une maladie mentale soient exclues du régime. Le sénateur Claude Carignan, par exemple, proposera que cet interdit soit levé un an après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, afin de prolonger d’ici là le débat.
Si le projet de loi est modifié par les sénateurs, ce qui semble assuré, il devra être retourné aux élus pour qu’ils entérinent les modifications. Le tout devra se faire rapidement : le Sénat s’est engagé à renvoyer le projet de loi le 17 février. Or, le tribunal a donné à Ottawa jusqu’au 26 pour changer sa loi. Le ministre de la Justice, David Lametti, s’est quand même montré ouvert à certains amendements. « J’ai entendu les préoccupations selon lesquelles la signification précise de l’interdit sur la santé mentale n’est pas claire, a-t-il dit la semaine dernière. J’y suis sensible […] et j’accueillerai volontiers toute suggestion que ce comité ou les témoins à venir pourront faire. »