Les réseaux sociaux frappent encore
La spéculation a fait couler beaucoup d’argent ces derniers jours à la Bourse américaine alors que les titres de quelques sociétés ont été fortement secoués. C’est le cas de l’action de la chaîne de jeux vidéo GameStop, qui est passée de 17 $ à 483 $ en moins d’un mois, avant de retomber à 59 $, hier, à la fermeture. On évalue à plus de 30 milliards la valeur ainsi créée et aussitôt détruite par le jeu de l’offre et de la demande. Pourtant, rien dans la performance de cette entreprise ne justifiait ces montagnes russes puisque les difficultés de GameStop sont connues depuis longtemps. Ce sont d’ailleurs ces difficultés chroniques qui, dans un premier temps, avaient incité d’importants fonds de couverture de Wall Street à spéculer sur le recul probable de GameStop pour en tirer profit.
Le jeu va comme suit : par un moyen assez simple, mais très risqué, nommé « vente à découvert », ces fonds spéculatifs milliardaires empruntent à faible coût des actions sur le marché pour les vendre aussitôt, mais avec l’intention de les racheter plus tard à un prix moins élevé et de les rendre à leur propriétaire initial. Si le titre perd de sa valeur entre-temps, le fonds engrange un profit d’autant plus élevé qu’il n’a versé qu’une petite prime au moment de l’emprunt initial du titre. Au contraire, si la valeur des actions grimpe, le fonds doit payer le prix fort pour racheter les actions qu’il doit rendre à leur propriétaire, et il enregistre alors une perte importante.
Dans le cas de GameStop, les fonds spéculatifs qui avaient misé sur la baisse de valeur du titre ont eu toute une surprise en constatant que des millions de petits investisseurs, adeptes d’un forum d’échange du réseau social Reddit, avaient carrément décidé de s’attaquer à Wall Street en achetant massivement des actions de GameStop pour en faire grimper le prix. Ce faisant, ils sont parvenus en quelques jours à déjouer les plans des fonds spéculatifs, les forçant même à racheter les titres à gros prix pour « couvrir leur position » auprès des propriétaires prêteurs.
Dans les médias, on a parlé de la revanche des petits investisseurs contre Wall Street, ce qui eût été juste si l’histoire s’était arrêtée là. Mais c’était compter sans le fait que ces petits investisseurs, aussi nombreux soient-ils, n’ont pas les poches assez profondes pour soutenir bien longtemps la valeur en Bourse de sociétés en déclin.
L’événement a attiré l’attention des autorités américaines. D’abord pour s’interroger sur le rôle joué par de nouveaux acteurs, comme le courtier direct en ligne Robinhood, qui attire de plus en plus de jeunes à qui il donne accès facilement, sans frais apparents, aux transactions boursières.
Très populaire auprès de ces boursicoteurs stimulés par le discours antiWall Street tenu sur certains réseaux sociaux, Robinhood a dû suspendre temporairement les transactions de quelques titres au pire moment de la vague spéculative pour répondre à des exigences de solvabilité, s’attirant les critiques de ses clients, mais aussi d’élus de gauche et de droite lui reprochant de nuire aux petits investisseurs.
Cela dit, si certains souhaitent un resserrement des règles pour ces nouveaux intermédiaires en ligne facilement accessibles, comme la divulgation des frais cachés et l’interdiction de diffuser de fausses informations, il est peu probable qu’on aille beaucoup plus loin. Car, aussi peu éthique soit-elle bien souvent, la spéculation fait partie du jeu depuis l’origine des Bourses.
En revanche, l’arrivée des démocrates à la Maison-Blanche devrait favoriser la révision des normes pour réduire le risque de crises financières comme celle de 2008-2009. On peut aussi s’attendre à l’introduction de nouvelles règles fiscales, comme l’augmentation du taux d’imposition des gains en capital.
Par ailleurs, au Canada comme aux États-Unis, une attention particulière doit être accordée à l’éducation économique des jeunes à l’ère des réseaux sociaux et des transactions instantanées. Après les années que nous venons de passer à subir les fausses nouvelles d’un président fourbe et de ses partisans omniprésents sur les réseaux sociaux, on constate que la contagion est en train de gagner une frange de nouveaux « investisseurs » souvent peu fortunés à la recherche de gourous et de « bons tuyaux » pour encaisser des gains rapides sans comprendre les risques de l’aventure. Entre un Elon Musk (Tesla) capable de risquer 1,5 milliard de dollars en bitcoins et un jeune travailleur prêt à gager son salaire d’un mois à la seule lecture d’un tweet de M. Musk, il y a un fossé auquel les acteurs du monde politique et financier doivent s’intéresser dès maintenant.
Une attention particulière doit être accordée à l’éducation économique des jeunes à l’ère des réseaux sociaux et des transactions instantanées