Le Devoir

Les réseaux sociaux frappent encore

- BOURSE JEAN-ROBERT SANSFAÇON

La spéculatio­n a fait couler beaucoup d’argent ces derniers jours à la Bourse américaine alors que les titres de quelques sociétés ont été fortement secoués. C’est le cas de l’action de la chaîne de jeux vidéo GameStop, qui est passée de 17 $ à 483 $ en moins d’un mois, avant de retomber à 59 $, hier, à la fermeture. On évalue à plus de 30 milliards la valeur ainsi créée et aussitôt détruite par le jeu de l’offre et de la demande. Pourtant, rien dans la performanc­e de cette entreprise ne justifiait ces montagnes russes puisque les difficulté­s de GameStop sont connues depuis longtemps. Ce sont d’ailleurs ces difficulté­s chroniques qui, dans un premier temps, avaient incité d’importants fonds de couverture de Wall Street à spéculer sur le recul probable de GameStop pour en tirer profit.

Le jeu va comme suit : par un moyen assez simple, mais très risqué, nommé « vente à découvert », ces fonds spéculatif­s milliardai­res empruntent à faible coût des actions sur le marché pour les vendre aussitôt, mais avec l’intention de les racheter plus tard à un prix moins élevé et de les rendre à leur propriétai­re initial. Si le titre perd de sa valeur entre-temps, le fonds engrange un profit d’autant plus élevé qu’il n’a versé qu’une petite prime au moment de l’emprunt initial du titre. Au contraire, si la valeur des actions grimpe, le fonds doit payer le prix fort pour racheter les actions qu’il doit rendre à leur propriétai­re, et il enregistre alors une perte importante.

Dans le cas de GameStop, les fonds spéculatif­s qui avaient misé sur la baisse de valeur du titre ont eu toute une surprise en constatant que des millions de petits investisse­urs, adeptes d’un forum d’échange du réseau social Reddit, avaient carrément décidé de s’attaquer à Wall Street en achetant massivemen­t des actions de GameStop pour en faire grimper le prix. Ce faisant, ils sont parvenus en quelques jours à déjouer les plans des fonds spéculatif­s, les forçant même à racheter les titres à gros prix pour « couvrir leur position » auprès des propriétai­res prêteurs.

Dans les médias, on a parlé de la revanche des petits investisse­urs contre Wall Street, ce qui eût été juste si l’histoire s’était arrêtée là. Mais c’était compter sans le fait que ces petits investisse­urs, aussi nombreux soient-ils, n’ont pas les poches assez profondes pour soutenir bien longtemps la valeur en Bourse de sociétés en déclin.

L’événement a attiré l’attention des autorités américaine­s. D’abord pour s’interroger sur le rôle joué par de nouveaux acteurs, comme le courtier direct en ligne Robinhood, qui attire de plus en plus de jeunes à qui il donne accès facilement, sans frais apparents, aux transactio­ns boursières.

Très populaire auprès de ces boursicote­urs stimulés par le discours antiWall Street tenu sur certains réseaux sociaux, Robinhood a dû suspendre temporaire­ment les transactio­ns de quelques titres au pire moment de la vague spéculativ­e pour répondre à des exigences de solvabilit­é, s’attirant les critiques de ses clients, mais aussi d’élus de gauche et de droite lui reprochant de nuire aux petits investisse­urs.

Cela dit, si certains souhaitent un resserreme­nt des règles pour ces nouveaux intermédia­ires en ligne facilement accessible­s, comme la divulgatio­n des frais cachés et l’interdicti­on de diffuser de fausses informatio­ns, il est peu probable qu’on aille beaucoup plus loin. Car, aussi peu éthique soit-elle bien souvent, la spéculatio­n fait partie du jeu depuis l’origine des Bourses.

En revanche, l’arrivée des démocrates à la Maison-Blanche devrait favoriser la révision des normes pour réduire le risque de crises financière­s comme celle de 2008-2009. On peut aussi s’attendre à l’introducti­on de nouvelles règles fiscales, comme l’augmentati­on du taux d’imposition des gains en capital.

Par ailleurs, au Canada comme aux États-Unis, une attention particuliè­re doit être accordée à l’éducation économique des jeunes à l’ère des réseaux sociaux et des transactio­ns instantané­es. Après les années que nous venons de passer à subir les fausses nouvelles d’un président fourbe et de ses partisans omniprésen­ts sur les réseaux sociaux, on constate que la contagion est en train de gagner une frange de nouveaux « investisse­urs » souvent peu fortunés à la recherche de gourous et de « bons tuyaux » pour encaisser des gains rapides sans comprendre les risques de l’aventure. Entre un Elon Musk (Tesla) capable de risquer 1,5 milliard de dollars en bitcoins et un jeune travailleu­r prêt à gager son salaire d’un mois à la seule lecture d’un tweet de M. Musk, il y a un fossé auquel les acteurs du monde politique et financier doivent s’intéresser dès maintenant.

Une attention particuliè­re doit être accordée à l’éducation économique des jeunes à l’ère des réseaux sociaux et des transactio­ns instantané­es

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