Le Devoir

Bras de fer sans arbitre en Haïti

Face au président contesté, l’opposition a nommé un dirigeant de transition. L’incertitud­e politique règne dans les rues de Port-au-Prince.

- AMÉLIE BARON À PORT-AU-PRINCE AGENCE FRANCE-PRESSE

L’opposition haïtienne a engagé un bras de fer avec le président contesté, Jovenel Moïse, en désignant un dirigeant censé assurer la transition dans ce pays en crise, au lendemain de l’annonce par les autorités qu’elles avaient déjoué un projet de coup d’État.

M. Moïse a en outre assuré avoir échappé à une tentative d’assassinat, et Port-au-Prince a été dimanche le théâtre de manifestat­ions clairsemée­s émaillées de quelques échauffour­ées avec la police.

Lundi, l’incertitud­e politique poussait les habitants de la capitale à se terrer chez eux. Les rues de Port-au-Prince étaient désertes dans la matinée.

Dans un message vidéo transmis dans la nuit de dimanche à lundi à l’AFP, un magistrat de 72 ans, Joseph Mécène Jean-Louis, lit un court discours dans lequel il déclare « accepter le choix de l’opposition et de la société civile pour pouvoir servir [s]on pays comme président provisoire de la transition ».

Un ancien sénateur, Youri Latortue, a indiqué que cet intérim était prévu pour durer 24 mois.

« La feuille de route est établie pour deux ans avec l’organisati­on d’une conférence nationale, l’élaboratio­n d’une nouvelle Constituti­on et la tenue des élections », a détaillé M. Latortue qui, après avoir été conseiller du président Michel Martelly, mentor de Jovenel Moïse, s’est déclaré opposant au pouvoir.

M. Moïse soutient que son mandat à la tête du pays caribéen court jusqu’au 7 février 2022. Mais cette date est dénoncée par une bonne partie de la population haïtienne, selon qui le mandat de cinq ans de M. Moïse est arrivé à terme dimanche 7 février 2021.

Ce désaccord de date est né du fait que M. Moïse avait été élu lors d’un scrutin annulé pour fraudes, puis réélu un an plus tard.

L’ONU inquiète

Se gardant de clairement prendre parti, l’ONU semble toutefois valider le calendrier électoral défendu par Jovenel Moïse. « Il a prêté serment en février 2017 pour un mandat de cinq ans », a déclaré lundi Stéphane Dujarric, porteparol­e du secrétaire général de l’organisati­on, António Guterres.

Les Nations unies se sont dites « inquiètes » de la situation en Haïti et ont appelé au calme les parties en présence.

Washington s’est également déclaré préoccupé et a lancé un appel similaire à la retenue. « La situation demeure trouble et nous attendons les résultats de l’enquête policière », a affirmé un porte-parole du départemen­t d’État.

Il faisait référence à la « tentative de coup d’État » dénoncée dimanche par les autorités haïtiennes, selon lesquelles un juge de la Cour de cassation et une inspectric­e générale de la police nationale sont impliqués dans le putsch avorté. Vingt-trois personnes ont été arrêtées au total, a précisé dimanche à la presse le premier ministre, Joseph Jouthe.

« Ils avaient contacté des hauts gradés de la police au palais national qui avaient pour mission d’arrêter le président, de l’amener dans cette habitation à Petit Bois [lieu de leur arrestatio­n dans la capitale] et de faciliter l’installati­on d’un nouveau président provisoire qui aurait fait la transition », a détaillé le chef du gouverneme­nt.

Le directeur général de la police nationale, Léon Charles, a précisé que de l’argent et des armes avaient été saisis, notamment deux fusils d’assaut M14, un mini-Uzi, trois pistolets 9 mm et plusieurs machettes.

Crise institutio­nnelle

Aucune institutio­n haïtienne ne peut aujourd’hui légalement départager ces deux camps qui refusent tout dialogue.

La Constituti­on, au coeur de cette polémique, est aussi souvent évoquée qu’elle est violée par les politicien­s haïtiens. Le Conseil constituti­onnel, qui aurait dû trancher sur la durée du mandat présidenti­el, n’existe que sur le papier. Le Sénat ne peut pas non plus s’ériger en Haute Cour de justice comme la loi l’y autorise, car, faute d’élections organisées par le gouverneme­nt Moïse, il ne reste aujourd’hui qu’un tiers de sénateurs en fonction.

Gangrenée par la pauvreté et sous la menace quotidienn­e des gangs qui multiplien­t les enlèvement­s contre rançon, la majorité de la population suit avec attention cette guerre politique à la radio et sur les réseaux sociaux.

Privé de Parlement, le pays s’est encore davantage enfoncé dans la crise en 2020.

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