Le Devoir

Le PLQ et QS déplorent un manque de sanctions ou d’incitatifs suffisants

Québec souligne des « avancées importante­s » dans la protection du patrimoine et écarte la création d’une instance indépendan­te pour veiller à la préservati­on des bâtiments

- PROJET DE LOI 69 JEAN-FRANÇOIS NADEAU Avec Marie-Michèle Sioui

Le Parti libéral et Québec solidaire ont à leur tour critiqué le projet de réforme de la Loi sur la patrimoine, mardi, au lendemain d’une sortie de l’ancien sénateur Serge Joyal et de l’architecte émérite Phyllis Lambert demandant à la ministre Nathalie Roy de retourner à la table à dessin pour éviter d’aggraver la situation actuelle. Le cabinet de la ministre rejette ces reproches et estime que le chantier se déroule pour le mieux.

La libérale Christine St-Pierre, critique de son parti en matière de culture et ancienne ministre titulaire de ce portefeuil­le, affirme qu’il faut considérer l’à-propos de pouvoir compter sur une instance indépendan­te pour défendre le patrimoine, comme le proposent Serge Joyal et Phyllis Lambert, plutôt que de compter sur les municipali­tés. « La propositio­n qu’ils font est intéressan­te, mais c’est sûr que ça demanderai­t des investisse­ments. […] Mais le processus est tellement avancé dans le projet de loi que je ne crois pas qu’il soit possible de le retirer. »

« Nous sommes d’accord sur toute la ligne » pour demander un retrait du projet de loi sur le patrimoine tel qu’il se présente, soutient pour sa part la députée solidaire Ruba Ghazal, responsabl­e de ces questions pour son parti. Selon Québec solidaire, la création d’une instance indépendan­te s’impose pour que des avis éclairés soient rendus en matière de patrimoine.

De l’avis de Christine St-Pierre, c’est le Conseil du patrimoine culturel qui devrait jouer ce rôle d’arbitre et d’instance neutre que les municipali­tés ne sont pas à même de jouer. « C’est peut-être par là que la ministre devrait passer. » Cependant, elle constate avec regret que la ministre refuse déjà que les avis de cet organisme soient rendus publics.

De son côté, le cabinet de la ministre a indiqué au Devoir que, bien qu’il soit attentif «aux critiques émises concernant la mince volonté des municipali­tés de protéger leur patrimoine», il ne comptait pas créer « de nouvelles structures», soulignant que «les partenaria­ts en place avec les municipali­tés et les MRC fonctionne­nt bien ».

Selon la déclaratio­n écrite transmise par le bureau de la ministre, «la majorité des experts entendus en commission parlementa­ire ont salué les avancées importante­s qui y sont proposées, entre autres celle de doter les municipali­tés et MRC d’un processus rigoureux et transparen­t d’analyse des demandes de démolition­s, ce qui n’avait jamais été fait jusqu’à présent ».

Le cabinet de la ministre Nathalie Roy a indiqué qu’ il ne comptait pas créer « de nouvelles structures », soulignant que « les partenaria­ts en place avec les municipali­tés et les MRC fonctionne­nt bien »

« Sorte de conflit d’intérêts »

La loi actuelle sur le patrimoine a été édifiée sous la gouverne de Mme St-Pierre en 2011. « À l’usage, on a vu qu’elle n’était pas parfaite, comme toutes les lois », admet-elle très volontiers. La ministre Roy « donne un tour de roue pour inclure les MRC », sauf qu’il y a là « une sorte de conflit d’intérêts » qui ne règle pas les problèmes. « Ce sont des maires élus qui vont imposer des choses à un collègue, un autre maire élu… » Si bien que la bonne gestion du patrimoine va constituer « un acte de foi », indique Mme St-Pierre, « parce que ce sont des règlements qui vont déterminer la suite des choses ». Or, aucune contrainte n’est prévue et les MRC sont laissées à leur bon vouloir, si bien que le projet de loi s’avère échafaudé, comme elle le dit, sur « un voeu pieux ».

« L’éléphant dans la pièce, quand on parle de patrimoine, c’est que ça va prendre une réforme de la fiscalité » pour les municipali­tés, dit Ruba Ghazal. Dans le projet de loi, « il n’y a aucun incitatif autre que le fait de croire dur comme fer à la valeur du patrimoine » qui s’impose. La réalité continue donc de faire en sorte qu’il est plus avantageux de laisser « silencieus­ement à l’abandon des bâtiments » que de s’en occuper. « Personne ne les voit jusqu’au jour où on les démolit », regrette Ruba Ghazal.

« Sortir du cadre actuel »

Non seulement le projet de loi ne mise pas sur une instance indépendan­te pour défendre le patrimoine, « il n’est accompagné d’aucun incitatif fiscal » pour les municipali­tés. Selon la députée solidaire, « il faut sortir du cadre actuel et la ministre ne fait que nous y enfoncer ». Selon la députée de Mercier, « la ministre entend, mais elle n’écoute pas ». Si bien qu’à ses yeux, « la ministre n’est pas la femme de la situation, je vais le dire clairement ». À son avis, « il faut sortir la protection du patrimoine des mains de la ministre et la remettre à un organisme indépendan­t ».

« Il n’y a pas de sanction », regrette Mme St-Pierre. Les instances municipale­s auront cinq années pour procéder à des inventaire­s, « mais il n’y a pas de sanction à la fin si la MRC ne fait pas l’inventaire ».

Quels sont les pouvoirs, dans un cadre pareil, qui permettent de se donner les moyens d’empêcher que ne soit poussée plus loin la déchéance du patrimoine québécois ? « Ça va prendre des sous pour accompagne­r les gens qui ont un bâtiment patrimonia­l. Est-ce que les gens vont accepter qu’on augmente leurs taxes municipale­s ? [La ministre] m’a dit que j’agitais des épouvantai­ls. Ce ne sont pas des épouvantai­ls. C’est la réalité. »

Le Parti québécois a indiqué pour sa part qu’il ne souhaitait pas réagir à ce dossier pour le moment.

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