Un projet de loi sans ambition
L’étude détaillée du projet de loi 69 censé remédier aux sérieuses lacunes dans la protection du patrimoine bâti se poursuit à l’Assemblée nationale et l’impression générale qui s’en dégage, c’est que tant la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, que les partis d’opposition sont en train de manquer le bateau. Le projet de loi 69 modifiant la Loi sur le patrimoine culturel contient certaines avancées. Ainsi, les MRC devront tenir et mettre à jour un inventaire des immeubles présentant une valeur patrimoniale. Une municipalité devra se doter d’un règlement relatif à la démolition des immeubles qui font partie de cet inventaire. Les MRC, à l’instar des municipalités, pourront citer un immeuble comme bien patrimonial. Elles pourront aussi s’opposer à la démolition d’un immeuble en désavouant l’autorisation accordée par une municipalité qu’elle chapeaute.
Le législateur présume que la MRC sera mieux outillée que la petite municipalité et disposera d’une plus grande expertise pour assurer la conservation et la mise en valeur du patrimoine. Encore faut-il que la MRC en ait la volonté politique et y voit son intérêt économique. Pas sûr qu’un préfet de MRC voudra livrer bataille pour tirer un bâtiment des griffes d’un maire qui méprise le patrimoine et qui n’y voit qu’un embarras.
C’est là que le bât blesse. Le projet de loi 69 accroît les pouvoirs des MRC, mais ne leur impose guère d’obligations. Les démolitions d’immeubles patrimoniaux que les municipalités ou les propriétaires privés ont laissés à l’abandon ne pourront plus se faire de façon sauvage, sans avis et la nuit parfois ; elles se feront toujours, mais en respectant les formes.
Surtout, comme le rappellent Phyllis Lambert et Serge Joyal dans une lettre qu’ils ont fait parvenir au Devoir, les MRC et les municipalités continueront d’être juges et parties : elles continueront à tirer profit, c’est-à-dire davantage de taxes foncières, de la démolition d’immeubles patrimoniaux afin de permettre un développement livré à des promoteurs. Souvent, il n’y a même pas de promoteurs : c’est la destruction pure et simple qui attend un bâtiment trop longtemps négligé.
Le projet de loi 69 ne fait rien pour changer cette dynamique voulant qu’une municipalité, à moins que ses élus montrent un intérêt singulier pour le patrimoine, ce qui n’est pas courant, trouve un intérêt financier à se débarrasser de bâtiments qu’il lui faut entretenir.
La meilleure protection qu’on puisse accorder à un bâtiment patrimonial, c’est qu’il serve. Les municipalités devraient avoir l’obligation non seulement d’entretenir les bâtiments, mais de leur trouver une vocation et des occupants. C’est trop facile de les abandonner pour ensuite constater qu’ils sont irrécupérables. Les municipalités n’agissent souvent pas autrement que les promoteurs véreux qui, patiemment, planifient la détérioration de leur bâtiment pour le remplacer au terme de plusieurs années de négligence.
Dans son rapport publié au printemps dernier, la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, tout en constatant l’absence de stratégie d’intervention de la part du ministère, soulignait qu’en matière de protection du patrimoine, les municipalités ont des pouvoirs mais peu d’obligations. Le projet de loi ne change pas cet état de choses.
On peut s’étonner également qu’il ne vise que les bâtiments construits avant 1940, comme si l’architecture moderne ne présentait aucun intérêt. À Sept-Îles, par exemple, le maire veut faire un stationnement d’un hôtel de ville construit en 1960, dont la valeur architecturale — et maintenant patrimoniale — est incontestable.
Sous les yeux de la ministre actuelle, une quinzaine d’immeubles patrimoniaux ont été détruits. La VG constatait d’ailleurs l’incurie du ministère. Or, dans sa mouture actuelle, le projet de loi 69 ne renversera pas cette tendance lourde.
Ni le ministère ni les municipalités ne se sont montrés à la hauteur. C’est pourquoi, comme le réclament Phyllis Lambert et Serge Joyal, il y a lieu de créer un organisme indépendant pour la protection du patrimoine, doté d’un pouvoir d’intervention et d’un financement adéquat pour soutenir les municipalités, mais aussi les particuliers, à préserver ce que les Québécois ont bâti de mieux. Détenir un immeuble patrimonial ne devrait pas être une permission de détruire, mais bien correspondre à une responsabilité de préserver un précieux héritage. Dans la destruction du patrimoine se manifeste une forme collective de détestation de soi. Ce que Camille Laurin a fait pour les Québécois et leur langue avec la loi 101, le projet de loi 69, pour leur patrimoine, ne l’accomplit aucunement. S’il est adopté, tout sera à recommencer.
Les municipalités n’agissent souvent pas autrement que les promoteurs véreux qui, patiemment, planifient la détérioration de leur bâtiment pour le remplacer au terme de plusieurs années de négligence