Le Devoir

Nos faiblesses en matière de sécurité d’approvisio­nnement

Une bonne vision à long terme se préoccupe aussi de la matière première

- Jean De Serres Ancien p.-d.g. d’Héma-Québec

La crise de la COVID-19 a mis en évidence les faiblesses stratégiqu­es de nos politiques en matière de sécurité d’approvisio­nnement. La politique du plus faible prix sans autre considérat­ion et la méconnaiss­ance de l’industrie du médicament nuisent à la sécurité des Canadiens. Trop souvent, on ne fait pas la différence entre médicament­s critiques à source complexe et produits mineurs disposant de multiples canaux de production. Pourtant, il est possible de sécuriser notre approvisio­nnement sans surpayer, à condition d’avoir une vision à long terme basée sur les faits. J’en donne un exemple ici.

Plusieurs patients canadiens souffrant d’une immunodéfi­cience primaire dépendent de la production d’un médicament fait à partir du sang, appelé l’immunoglob­uline. Or, le Canada dépendait jusqu’à récemment de la production internatio­nale, même si celle-ci pouvait être réquisitio­nnée à tout moment par les pays producteur­s : lors de la guerre en Irak, le gouverneme­nt américain pouvait bloquer ses exportatio­ns et causer une pénurie critique au Canada. Pourtant, les administra­tions qui auraient dû faire la planificat­ion à long terme avaient depuis longtemps oublié ce risque. On affirmait même être autosuffis­ant en sang, bien qu’on soit totalement dépendant de l’étranger pour le produit du sang le plus utilisé (les immunoglob­ulines) !

Il a fallu que j’en fasse un objectif personnel et, avec l’aide du gouverneme­nt de l’époque (le ministre de la Santé Réjean Hébert et la première ministre Pauline Marois), on a pu faire construire à Montréal l’usine de GreenCross Biothérape­utics, vendue récemment pour 460 millions $US à Grifols. Il n’y a eu aucun investisse­ment majeur (moins de 7 %, d’Investisse­ment Québec) du gouverneme­nt dans ce projet, mais une idée simple, claire et transparen­te, que j’avais proposée au gouverneme­nt de l’époque : réserver 30 % de nos achats à la production locale, et ce, au tarif du marché ! Cela correspond­ait au volume requis pour la survie des patients canadiens et pouvait se justifier en matière de libre-échange au regard des priorités que se donnait le gouverneme­nt américain ! Les 70 % de volume libre permettaie­nt la libre concurrenc­e et le maintien de l’innovation.

Une bonne vision à long terme se préoccupe aussi de la matière première. On s’approvisio­nnait jusqu’alors presque exclusivem­ent en plasma américain ! J’ai donc lancé en parallèle les premières cliniques de collecte de plasma d’HémaQuébec pour combler notre déficit dans ce domaine, le plasma étant la matière première de cette usine.

Le projet a fonctionné et la production d’immunoglob­ulines peut maintenant être faite à Montréal, mais les chicanes interprovi­nciales ont failli le faire échouer, car le reste du pays a refusé de prioriser l’achat canadien de ce produit fait au Québec (et non pas en Ontario, zut) ! De plus, un autre projet similaire en production cellulaire a été abandonné par les gouverneme­nts subséquent­s. La leçon ? On n’apprend pas assez des bons coups et on abandonne trop vite les visions à long terme (souvent faute de les comprendre) ! Lors de l’inaugurati­on de l’usine, les autorités avaient déjà oublié la genèse de ce projet et sa véritable raison d’être et n’en ont fait aucune mention.

Pourtant, l’histoire de la constructi­on à Montréal de l’usine Grifols démontre qu’il est possible d’améliorer la sécurité de nos patients et de favoriser en même temps les investisse­ments et les emplois locaux si on défend les bonnes idées, la transparen­ce et la vision à long terme. Cela concerne aussi la production de vaccins !

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