Le Devoir

Gênante affaire Camara

Pourra-t-il obtenir une juste réparation pour tous les préjudices subis ?

- Jean-Claude Hébert Avocat

L’affaire Camara est sacrément gênante pour bien du monde. À preuve, l’écho des tam-tams politiques auprès de l’opinion publique. Qualifiant de « cas troublant » le traitement subi par Mamadi Fara Camara, le premier ministre Justin Trudeau semble préoccupé par l’ombre du racisme systémique, « particuliè­rement quand on parle de nos corps policiers ». Tous les citoyens, croit-il, souhaitent des réponses claires sur ce dossier. Il a raison.

À l’Assemblée nationale, des élus réclament une enquête indépendan­te (sinon publique, au moins transparen­te) sur le traitement inédit réservé à M. Camara, soit une arrestatio­n musclée, une fouille intrusive de sa résidence et une lourde inculpatio­n, suivies d’une libération insolite.

La mairesse de Montréal a déclaré haut et fort qu’elle croyait à l’innocence de M. Camara et qu’elle soupçonnai­t un cas de profilage racial. Dans l’attente d’expertises scientifiq­ues, le chef de police s’est réservé une sortie de secours en promettant des excuses… si nécessaire. La Fraternité des policiers a critiqué les déclaratio­ns de la mairesse de Montréal, dénonçant une ingérence politique, une atteinte au devoir de réserve et un « biais idéologiqu­e ».

Le ministre de la Justice et procureur général s’est dit satisfait de la rigueur du travail des procureurs de la Couronne. La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, estimait pour sa part que les circonstan­ces entourant la mise en accusation de M. Camara devaient être examinées. À la radio, elle a exprimé le souhait que les responsabl­es fassent « amende honorable ». La responsabi­lité de l’État a pris forme.

Pouvoirs policiers

Pour maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, les policiers sont appelés à restreindr­e les droits et libertés des citoyens en recourant à des pouvoirs coercitifs. Le risque d’abus étant indéniable, les agents de l’État (policiers et procureurs) sont astreints à des normes de conduite exigeantes.

Un policier enquêtant sur une violation de la loi n’agit pas en sa qualité de fonctionna­ire ou de mandataire de l’État. Il est redevable uniquement devant la loi et sa conscience. Cette norme juridique lui confère une indépendan­ce décisionne­lle, mais sûrement pas l’immunité civile d’un préposé en cas de faute.

Chaque fois que la police mène une enquête ou entre en contact avec les citoyens, cette conduite symbolise la façon dont les droits et libertés fondamenta­ux sont respectés. La manière dont la police s’acquitte de ses tâches indique le niveau de la qualité d’une société démocratiq­ue.

S’il soupçonne raisonnabl­ement la participat­ion d’une personne dans la perpétrati­on d’une infraction, un policier peut détenir celle-ci. Interpellé pour fin d’enquête, le suspect doit être informé en langage clair et simple des motifs de sa détention. Tout citoyen peut légalement garder le silence ou choisir de collaborer à l’enquête.

Une conduite policière légitime n’est pas toujours définie explicitem­ent par la loi. Le contexte entourant le comporteme­nt d’un agent de la paix est toujours pertinent. Par conséquent, plusieurs principes établis par les tribunaux supérieurs déterminen­t les normes d’un comporteme­nt policier légitime.

La justificat­ion d’arrêter provisoire­ment une personne renvoie à l’ensemble des circonstan­ces motivant la nécessité d’une détention. L’examen de la situation tient compte de la gravité de l’infraction, des renseignem­ents sur le suspect ou sur la violation de la loi. L’emplacemen­t et le moment de l’interventi­on sont des facteurs primordiau­x.

Il faut donc mettre dans la balance l’importance du risque pour la sécurité du public (ou d’une personne en particulie­r) et le droit à la liberté des citoyens pour déterminer si l’interventi­on policière n’a porté atteinte à ce droit fondamenta­l que dans la mesure raisonnabl­ement nécessaire pour prévenir la menace à la paix publique.

Recours de M. Camara

Après six jours d’emprisonne­ment, une promesse d’excuses par l’autorité policière et le prudent silence du Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP), l’incident a laissé des stigmates à M. Camara et à ses proches qui vont durer longtemps.

M. Camara pourra-t-il obtenir une juste réparation pour tous les préjudices subis ? Toute action intentée contre la police et la Ville de Montréal, une procureure du DPCP et le gouverneme­nt — pour cause de poursuite pénale abusive — représente un colossal défi.

La Cour suprême a statué qu’une mise en accusation abusive ne permet pas un contrôle judiciaire rétrospect­if de l’exercice du pouvoir discrétion­naire reconnu au ministère public. Autrement dit, les actions de la Couronne doivent avoir été empreintes de malveillan­ce pour constituer une faute civile. Qui plus est, au Québec, l’octroi de dommages punitifs est conditionn­el à une preuve d’atteinte illicite et intentionn­elle. En somme, le fardeau de la preuve incombant à M. Camara est énorme.

Souhaitons que les ministres responsabl­es en matière de justice et la mairesse de Montréal offrent conjointem­ent à M. Camara un mécanisme d’arbitrage lui permettant d’obtenir justice dans un délai raisonnabl­e et de tourner la page. En parallèle, rien n’empêche les autorités compétente­s de faire l’autopsie d’une troublante erreur judiciaire.

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