L’Union du 10 février 1841 et le projet colonial britannique
Rappelons aujourd’hui le 180e anniversaire de la proclamation officielle de l’union des deux colonies du Haut et du Bas-Canada du 10 février 1841. Nous ne nous attarderons pas au récit de cette période, mais à la date même de l’entrée officielle du 10 février, qui marque une continuité dans l’histoire de l’Empire britannique en Amérique du Nord.
On sait que cette union fut imposée à la suite de la défaite militaire du soulèvement des patriotes de 1837-1838. Elle avait reçu sa sanction royale le 23 juillet 1840. Mais avant d’officialiser ce changement, il fallait d’abord préparer l’opinion et briser les derniers foyers d’opposition à cette mesure particulièrement injuste pour les Canadiens du Bas-Canada. Ce fut le rôle du nouveau gouverneur général nommé en remplacement de Lord Durham en 1839, Charles Poulett Thomson, plus connu sous le titre de baron Lord Sydenham. Celui-ci, après avoir mis en place divers moyens d’imposer cette nouvelle Constitution, a choisi cette date du 10 février 1841 pour l’entrée en vigueur officielle du régime d’union législative. Il s’en est expliqué dans une lettre envoyée au responsable des colonies, Lord Russell. Cette lettre est reproduite dans ses mémoires publiés par le frère de Lord Sydenham, où le gouverneur général s’explique sur les raisons de son choix du « 10 février » pour lancer officiellement ce régime du Canada-Uni. On est loin d’un pur hasard.
En effet, il retient la date du 10 février pour rappeler aux Canadiens que le 10 février 1763 coïncide avec la date de la signature du Traité de Paris, qui marquait la défaite de l’Empire français en Amérique.
Il ajoute que c’est le 10 février 1838 que Londres supprima le Parlement accordé au Bas-Canada en 1791, à la satisfaction des intérêts des marchands britanniques de Montréal. Le 10 février 1841 devait rappeler au peuple vaincu que sa mise en minorité politique était conséquente à sa défaite militaire. Il marquait le début de l’affirmation d’un Canada-Uni résolument britannique.
L’historien Maurice Séguin a bien montré que ce régime d’union s’imposait par la force des choses, commandé par les intérêts supérieurs de la colonisation anglaise. Le nom officiel de la loi qui créait cette nouvelle constitution fut « British North America Act. » Ce nom sera repris en 1867 par le Parlement de Londres pour désigner la Constitution suivante, qui marque le début du régime d’union fédérale, appelée incorrectement confédération. Mais Lord Sydenham, qui avait le sens de l’histoire et était imbu de la fierté impériale, tenait à rappeler aussi que c’était le 10 février de l’année précédente qu’avait eu lieu le mariage de la reine Victoria, sur l’Empire de laquelle le soleil ne se couchait jamais.
Une explication occultée
Des historiens canadiens-anglais qui ont raconté les débuts de l’Union ont retenu la date de sa proclamation officielle du 10 février 1841. Par contre, les historiens canadiens-français ont tous retenu la date de la sanction royale de juillet 1840, sauf Antoine Gérin-Lajoie. Ils ne rappellent jamais non plus l’explication de Lord Sydenham.
Le politologue Guy Bouthillier, qui s’est penché sur cette question dans L’Action nationale (sept.-oct. 2015), note que même l’historien Lionel Groulx abordant l’Union dans son Histoire du Canada français s’arrête à la sanction royale et n’aborde pas l’explication de Sydenham. C’est l’historien Maurice Séguin qui a renouvelé l’interprétation de notre histoire nationale en se penchant lucidement sur les écrits des dirigeants britanniques et qui a tenu à faire faire connaître le projet colonial britannique et son impact réel sur notre nation, en écartant les mythes consolateurs comme celui des « deux peuples fondateurs » ! Et c’est son étudiant Claude Turcotte qui, dans sa recherche sur la correspondance entre Sydenham et Russell, a reproduit en annexe de son mémoire en 1965 la lettre explicative sur le « 10 février ».
On peut comprendre que les Québécois d’aujourd’hui n’ont pas eu souvent l’occasion de faire le constat que c’est un 10 février que trois événements politiques importants de notre histoire nationale ont eu lieu : la défaite militaire, l’abolition de son parlement et la mise en minorité politique. Cette union, deuxième conquête, marque la fondation d’un Canada résolument britannique.