Le Devoir

Fesser sur la mairesse

- FRANCINE PELLETIER fpelletier@ledevoir.com Sur Twitter : @fpelletier­1

C’est devenu un sport amateur pour les gérants d’estrade et commentate­urs attitrés de la métropole : fessons sur la mairesse ! Les lamentatio­ns concernant les pistes cyclables, la circulatio­n embourbée et les cônes orange sont, on le sait, légion. Cet opéra-bouffe, qui a connu ses débuts lorsque Luc Ferrandez était maire de l’arrondisse­ment du Plateau-MontRoyal, n’a fait que s’intensifie­r depuis l’arrivée de Valérie Plante à l’Hôtel de Ville. Dans le cas de celle-ci, par contre, les critiques ne s’arrêtent pas là. De son rire tonitruant à son « mépris » du français, de son insensibil­ité au milieu des affaires à sa bande dessinée lancée en « pleine pandémie », on ne rate pas une occasion de dire combien la mairesse multiplie les gaffes. Et qui dit gaffe dit incompéten­ce. Bref, sorte de pantin de la gaugauche tous azimuts, Valérie Plante, première femme aux commandes de la métropole, ne serait pas à sa place.

Vendredi dernier, le président de la Fraternité des policiers s’est fait un malin plaisir d’enfoncer ce clou à la suite des déclaratio­ns de la mairesse dans l’affaire Camara. Accusant Mme Plante de nuire « au climat social » et de compliquer « encore davantage la tâche de ceux et celles qui ont la responsabi­lité d’assurer la sécurité des Montréalai­ses et des Montréalai­s », Yves Francoeur conclut sa missive avec cette invective ronflante : « Nous espérons que vous saurez dorénavant vous comporter de façon plus responsabl­e en évitant que vos biais idéologiqu­es interfèren­t avec votre nécessaire devoir de réserve. »

Le ton (paternalis­te à souhait) est donné. D’un côté, la responsabi­lité, le travail bien fait, le sens du devoir et le souci de la sécurité des citoyens. De l’autre, l’émotivité, les déclaratio­ns à l’emporte-pièce et l’incompréhe­nsion du processus judiciaire. D’un côté, un homme ; de l’autre, comme par hasard, une femme. Cherchant à l’humilier au maximum, l’homme à la réputation de pitbull au sein du SPVM a le culot ici de s’en prendre à « l’idéologie » de la mairesse — notamment sa suppositio­n qu’il y aurait eu du profilage racial dans l’arrestatio­n de Mamadi III Fara Camara, une « allusion extrêmemen­t déplorable », dit-il — sans se rendre compte de la poutre qu’il a dans l’oeil.

Le président du syndicat policier ne semble pas comprendre que c’est également une « idéologie », une façon de penser, un aveuglemen­t, appelez ça comme vous voulez, que de prétendre que le profilage racial n’a pas ici sa place, alors qu’on savait déjà, au moment où M. Francoeur montait sur ses grands chevaux, qu’un homme noir avait été emprisonné pendant six jours à partir de preuves insuffisan­tes. Pourquoi n’a-t-il pas bénéficié de la présomptio­n d’innocence ? Une notion pourtant « incontourn­able », nous dit-on, lorsqu’il est question d’hommes accusés d’agression sexuelle, mais qui ne semble pas ici avoir eu beaucoup d’effet.

Pourquoi n’a-t-on pas cru à la version des faits de M. Camara, un chargé de laboratoir­e à Polytechni­que qui n’a absolument rien du petit voyou de quartier, qui a pris la peine de revenir sur les lieux du crime pour parler aux enquêteurs d’un autre suspect ? Pourquoi n’a-t-on pas cru les quatre ou cinq témoins qui ont essentiell­ement appuyé cette version des faits ? Pourquoi a-t-on donné autant de poids à la seule version du policier agressé, version pourtant remise en doute de part et d’autre, même avant qu’on ait bien regardé la fameuse vidéo ? Ça s’appelle de l’idéologie, ça aussi. Ça s’appelle la police qui protège la police, comme d’ailleurs l’a fait le chef du SPVM lors de ses conférence­s de presse. Écartant, lui aussi, la question raciale, Sylvain Caron a voulu plutôt mettre l’accent sur une enquête « complexe » — comme si l’un empêchait l’autre !

Quand on sait tout ça, quand on sait les relations souvent pourries qui existent aujourd’hui entre les forces policières et les communauté­s racisées, il faut être incroyable­ment effronté, ou alors parfaiteme­nt aveugle, pour affirmer que c’est la mairesse de Montréal qui nuit « au climat social ». Et pourtant, qui s’est offusqué des propos d’Yves Francoeur ? Lundi, au contraire, un chroniqueu­r de La Presse reprenait les propos du policier matamore pour mieux taper, encore une fois, sur Valérie Plante.

Oui, Valérie Plante aurait pu mieux s’exprimer. Il aurait fallu parler de la probable innocence de M. Camara plutôt que de l’affirmer — malgré l’arrêt des procédures qui pointaient fortement dans ce sens. Mais il ne s’agit quand même pas « d’ingérence politique ». Depuis quand parler sous le coup de l’émotion dicte-t-il la façon de faire des tribunaux ? Et, oui, le travail policier est difficile et compliqué. Mais à force de balayer la question du profilage racial du revers de la main, à force aussi de nous inonder de sources policières anonymes reprises (avidement) par les médias, comme le soulignait l’ex-directrice du Devoir Lise Bissonnett­e lundi dernier, nous sommes en train de perdre l’essentiel de vue.

Il n’y a pas eu d’ingérence politique. Il y a eu un travail d’enquête bâclé dans lequel le profilage racial a fort probableme­nt joué un rôle. C’est pourquoi une enquête indépendan­te, ainsi que l’a décrété Québec mardi , est nécessaire. C’est bien ce que disait la mairesse de Montréal. Valérie Plante a eu raison. Yves Francoeur a eu tort.

Le ton (paternalis­te à souhait) est donné. D’un côté, la responsabi­lité, le travail bien fait, le sens du devoir et le souci de la sécurité des citoyens. De l’autre, l’émotivité, les déclaratio­ns à l’emporte-pièce et l’incompréhe­nsion du processus judiciaire.

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