Le Devoir

Retrouver l’indépendan­ce perdue de la distributi­on de musique numérique

Le but : retrouver une partie de l’indépendan­ce du milieu, perdue aux mains des mégacompag­nies

- CATHERINE LALONDE

Un nouveau distribute­ur de musique numérique voit le jour au Québec. Amplitude distributi­on arrive avec une pensée qui touche à celle du commerce équitable et de la consommati­on de proximité.

Une vision de Panier bleu de la musique, quoi ; et un service clé en main pour que les chansons se retrouvent sur la toile, sur une quarantain­e de plateforme­s d’écoute, de iTunes à Deezer, en passant par Spotify, TikTok ou QUB.

Le service collectif, indépendan­t et à but non lucratif veut « réduire le nombre d’intermédia­ires, et permettre aux artistes de prendre davantage en main leur distributi­on numérique ».

Fondée par Jacynthe PlamondonÉ­mond (InTempo Musique), Mark Lazare (producteur indépendan­t) et Dorothée Parent-Roy (Believe Digital, LaSwell Musique), Amplitude distributi­on propose un agrégateur numérique à bas prix, pour rendre la distributi­on numérique accessible aux artistes indépendan­ts. Sans générer de profits. « La joke qui court dans le milieu, c’est qu’on dit qu’il n’y a jamais d’argent à faire en distributi­on de musique, faque… », s’amuse Dorothée Parent-Roy.

Plus sérieuseme­nt : « Il y a un gros manque d’éducation numérique au Québec dans l’industrie. » Celle qui travaille en distributi­on musicale depuis 2012 a compris qu’il était de plus en plus compliqué pour les artistes indépendan­ts d’avoir des contrats de distributi­on, « car les distribute­urs signent surtout des labels, des maisons de disques. »

Amplitude arrive comme concurrent de Tune Core, CD Baby et Distrokid, tous américains. « On fait face à un marché qui n’offre pas vraiment de service local, et des joueurs qui n’ont pas cette volonté de donner une présence à la musique québécoise, qui va se perdre dans le flot des 200 chansons uploadées par jour sur Tune Core, par exemple. C’est difficile dans ces conditions de travailler la découvrabi­lité des artistes, et d’attirer l’attention des services de musique en ligne. Ça serait cool que l’argent de la culture reste ici ; et qu’on recommence à développer de l’expertise locale. »

Amplitude veut apporter sa crédibilit­é, en établissan­t des critères de sélection. « On veut un minimum de qualité au niveau de l’enregistre­ment. On ne prend personne qui s’enregistre sur son magnétopho­ne Fisher Price », illustre Mme Parent-Roy. « On ne va pas accepter non plus Ma Tante Ginette qui fait des covers au ukulélé avec son chat qui chante. On se donne le droit de ne pas endosser les propos et contenus haineux. »

Comment Amplitude assurera-t-elle sa longévité ? « En tant qu’organisme sans but lucratif, on se le cachera pas, on va être éligible à des subvention­s pour assurer la pérennité du service. Mais on commence à l’huile de coude et au bénévolat. »

L’indépendan­ce québécoise

Pour Romuald Jamet, professeur en sociologie de la culture et du numérique à l’UQAC, l’arrivée d’Amplitude est une belle nouvelle. « Historique­ment, l’écosystème musical québécois a été assez indépendan­t, jusqu’autour de 2005, à l’arrivée des grandes plateforme­s, Spotify et consorts », contextual­ise le chercheur.

« Amplitude va pouvoir redonner l’indépendan­ce du secteur, en partie perdue ces dernières années. Ça entre en résonance avec la consommati­on éthique, locale, qui permet vraiment une meilleure rémunérati­on des artistes, parce que l’intermédia­ire se propose d’être à but non lucratif — Amplitude propose des coûts très, très inférieurs aux tendances du marché. Elle va pouvoir, je pense, avoir des stratégies beaucoup plus collées au public québécois ; quand ils vont négocier avec Apple ou Spotify, elle pourra faire des stratégies de découvrabi­lité pour que le bon contenu arrive au bon public. »

Surtout, Amplitude, selon M. Jamet, va pouvoir bénéficier de ce qui est le nerf de la guerre dans le secteur musical : la gestion des métadonnée­s. « L’industrie du disque ne fait plus d’argent sur les produits musicaux ; », rappelle l’enseignant. « Les majors de ce monde font de l’argent grâce aux métadonnée­s et aux données associées aux utilisateu­rs : les données d’écoute, la géolocalis­ation de ces écoutes, la durée ; de toutes petites données associées aux contenus musicaux, portées par les utilisateu­rs. »

Car ce sont maintenant les utilisateu­rs qui produisent des revenus, davantage que les contenus culturels. « Dans ce cadre, un distribute­ur à but non lucratif va pouvoir assurer sa survie en proposant un suivi de ces métadonnée­s, et le monétiser. Pour le marché québécois, et surtout en temps de COVID, alors que les revenus des artistes sont en grande baisse parce qu’ils ne peuvent plus faire de revenus de spectacle, Amplitude est une bonne nouvelle. »

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Dorothée Parent-Roy, cofondatri­ce d’Amplitude, nouvel OSBL qui arrive comme concurrent de Tune Core, CD Baby et Distrokid, tous américains

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