Le Devoir

L’agricultur­e, principale menace pour la biodiversi­té

- ALEXANDRE SHIELDS

Notre régime alimentair­e axé sur une consommati­on sans précédent de produits issus de l’élevage et l’utilisatio­n intensive des ressources naturelles qui en découle représente la principale menace pour les espèces en voie de disparitio­n, conclut une nouvelle étude internatio­nale qui recommande un virage vers un régime essentiell­ement végétalien.

« Cruciale » pour la santé de la planète, mais aussi pour la survie de l’humanité, la biodiversi­té a pourtant été « sévèrement compromise et altérée à un rythme sans précédent » au cours des dernières décennies, déplore d’entrée de jeu le rapport de l’organisme britanniqu­e Chatam House, aussi connu sous le nom de Royal Institute of Internatio­nal Affairs. La situation est d’autant plus dramatique que la destructio­n des écosystème­s naturels et des espèces qui y vivent est surtout imputable à un aspect fondamenta­l de notre vie quotidienn­e : l’alimentati­on.

Consommati­on à la hausse

« Au cours des 50 dernières années, la conversion des écosystème­s pour la production agricole et les pâturages a été la principale cause de pertes d’habitats, et donc du recul de la biodiversi­té », résume ainsi le rapport. Il faut dire que la seule production annuelle de viande a été multipliée par quatre au cours de la même période, passant de 75 millions de tonnes à plus de 300 millions de tonnes. Aujourd’hui, pas moins de 80 % des terres agricoles de la planète sont utilisées pour l’élevage, soit comme terres de pâturage, soit pour produire les plantes qui servent à nourrir les animaux.

Cette agricultur­e, plus que jamais « intensive » et industriel­le, a permis de construire un système alimentair­e qui s’inscrit dans une spirale basée sur la production de nourriture « au plus bas prix possible », peut-on lire dans le document de Chatam House. Cette façon de faire « dégrade les sols et les écosystème­s » terrestres et aquatiques, alors que « la croissance globale de la consommati­on » aggrave chaque jour les « pressions » sur les milieux naturels : utilisatio­n accrue de pesticides, d’énergie, de terres et d’eau. En Amazonie, par exemple, près de 75 % des vastes régions naturelles de grande biodiversi­té qui ont été perdues l’ont été au profit de la production de viande ou des céréales nécessaire­s pour les animaux.

« Cela a réduit la diversité des paysages et des habitats naturels, ce qui a eu pour effet de menacer ou de détruire » des milieux essentiels pour une multitude d’espèces vivantes, des microbes aux mammifères, en passant par les oiseaux et les insectes. Concrèteme­nt, précise le rapport, l’agricultur­e mondiale est ainsi devenue la principale menace pour 24 000 des 28 000 espèces inscrites sur la « liste rouge » de l’Union internatio­nale pour la conservati­on de la nature, en raison de leur risque d’extinction.

Pendant ce temps, les espèces élevées pour satisfaire nos besoins alimentair­es ont pris de plus en plus de place, rappellent les auteurs en citant une étude publiée en novembre dernier dans Proceeding­s of the National Academy of Sciences of the United States of America. La « masse globale » des mammifères sauvages a ainsi décliné de plus de 80 % depuis 1970, au point de représente­r aujourd’hui à peine 4 % du total. Les animaux d’élevage (principale­ment les bovins et les cochons) représente­nt 60 % de la masse de tous les mammifères de la planète et l’être humain, un total de 36 % de cette masse.

Qui plus est, le maintien du système agricole actuel aggravera la crise climatique, souligne le document, en rappelant que « les écosystème­s terrestres et marins » absorbent près de 60 % des émissions mondiales annuelles de gaz à effet de serre (GES). A contrario, les émissions de GES du secteur agricole dépassent les 5,5 milliards de tonnes à l’échelle planétaire (huit fois les émissions totales du Canada) et la production animale est responsabl­e à elle seule de 72 à 78 % de toutes les émissions du secteur.

Régime végétalien

Sans « réforme » de notre système alimentair­e, cette tendance lourde à la destructio­n de la biodiversi­té se poursuivra et « menacera notre capacité à soutenir les population­s humaines », prévient le rapport. Pour tenter de freiner ce déclin abrupt, les auteurs de l’étude réitèrent donc la nécessité de réduire radicaleme­nt la part des protéines animales dans notre alimentati­on, afin que celle-ci s’appuie principale­ment sur une diète végétalien­ne, soit « à base de plantes ».

Cela permettrai­t de réduire l’usage de terres pour l’agricultur­e, malgré un contexte de croissance continue de la population mondiale. En même temps, les auteurs du rapport insistent sur le besoin de « réduire substantie­llement » le gaspillage alimentair­e.

Directrice générale d’Équiterre, Colleen Thorpe estime que le Québec devrait lui aussi effectuer « un virage majeur en agricultur­e » et qu’il est possible de tirer des leçons des conclusion­s du rapport de Chatam House. Elle rappelle que pas moins de « 70 % des meilleures terres agricoles du Québec sont utilisées pour produire du maïs et du soya », essentiell­ement pour nourrir le bétail. Dans ce contexte, elle plaide pour la mise en oeuvre d’un « plan » de production locale de « protéines végétales » qui serviraien­t directemen­t à l’alimentati­on humaine. « On peut réduire notre consommati­on de viande et soutenir les agriculteu­rs qui innovent. Il y a une ouverture chez les consommate­urs et c’est l’occasion de transforme­r notre agricultur­e. »

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JOE RAEDLE AGENCE FRANCE-PRESSE La production animale mondiale accélère la destructio­n des écosystème­s naturels et la crise climatique, conclut un récent rapport de l’organisme britanniqu­e Chatam House.

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