Le Devoir

La nature et nous

Le peintre britanniqu­e William Turner et le sublime, ce mélange de contemplat­ion et d’expérience, au Musée national des beaux-arts du Québec

- III EXPOSITION CAROLINE MONTPETIT À QUÉBEC

En décembre 1808, dans la commune de Selva, dans les Grisons suisses, une avalanche meurtrière avalait 25 personnes qui s’étaient réunies dans un chalet de montagne.

Rien n’indique que le peintre britanniqu­e Joseph Mallord William Turner était dans la région à cette époque. Mais cet incident lui a inspiré une toile marquante, La chute d’une avalanche dans les Grisons. Sur ce tableau, qui fait partie de l’exposition Turner et le sublime, qui ouvre finalement ses portes cette semaine au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ), c’est l’avalanche, bien plus que le chalet et ses habitants, qui est au coeur de l’oeuvre.

Le sublime, c’est ce mélange de contemplat­ion et d’expérience, ce vertige que l’on peut éprouver en regardant la nature, dans sa force obscure qui nous conquit et nous détruit.

D’ailleurs, durant toute sa carrière, qui a été longue et prodigue, William Turner ne s’est intéressé qu’aux paysages. Ce qui le fascine, ce sont les montagnes, les mers, les lacs et les cieux, les orages, les inondation­s, les tempêtes, et les brouillard­s. Vers la fin de sa vie, c’est la lumière elle-même qu’il tentait de peindre, au-delà de ce qu’elle éclaire.

Autant dire que ce peintre romantique, né au XVIIIe siècle, s’approche des préoccupat­ions d’aujourd’hui, lui qui semblait interroger la nature chaque matin pour connaître le sort qu’elle lui réserve. Le MNBAQ a également souhaité faire le lien entre l’exposition et les interrogat­ions au sujet du réchauffem­ent climatique. Trois installati­ons immersives inspirées des toiles de Turner proposent d’ailleurs au visiteur d’entrer dans l’univers de Turner comme s’il y était, que ce soit dans Venise inondée, au sommet des Alpes suisses, ou en pleine mer, près d’un pétrolier qui coule.

Le peintre a d’ailleurs lui aussi été témoin d’une société effervesce­nte, en pleine révolution industriel­le. Et le brouillard qui baigne la ville de Londres sur ses toiles est peut-être le fait de la nouvelle pollution atmosphéri­que générée par la croissance des villes manufactur­ières et l’industrie du charbon. « Selon les observateu­rs de l’époque, le ciel enfumé des villes de Grande-Bretagne annonçait soit l’apocalypse, soit un nouveau sublime industriel », écrit André Gilbert, commissair­e de l’exposition, dans le catalogue conçu pour l’occasion.

En 2014, des chercheurs de l’Académie d’Athènes ont étudié les toiles de Turner pour voir si on pouvait détecter, dans la couleur de ses ciels, les poussières projetées par l’éruption de volcans.

« Ils ont démontré que la proportion de rouge augmentait de manière notable dans ses toiles durant les trois années qui suivirent chacun de ces cataclysme­s », écrit encore Gilbert.

C’est dire l’intensité avec laquelle le peintre observait la nature. « Il rendait des orages, de la pluie, des atmosphère­s très, très difficiles à peindre, et l’aquarelle est le meilleur médium

Turner et le sublime Musée national des beaux-arts du Québec, jusqu’au 2 mai 2021.

pour rendre ce type d’effets », disait le commissair­e mardi.

Un peintre acharné

Pour André Gilbert, l’oeuvre de William Turner peut se diviser en deux : la première phase, plus réaliste, qui débute d’ailleurs avec un tableau remarquabl­e peint par l’artiste à 21 ans, Pêcheurs en mer, où la lune éclaire une mer bouillonna­nte et un bateau de pêcheur. Puis au fil des années, les toiles se font plus abstraites, jusqu’à ne se rassembler qu’autour d’une ligne d’horizon, ou d’une lumière dans le ciel.

Alors que l’artiste, fou de Venise, peint sans relâche ses ombres baignées dans un brouillard humide, un chroniqueu­r du Spectator juge que sa VeniseMari­a della Salute est « trop évanescent­e pour être autre chose qu’une cité de rêve ». Et à un collection­neur qui se plaint du caractère « indéfini » de ses oeuvres, il répond : « Dites-lui que l’indéfiniss­able est mon fort. »

Reste que Turner, fils de barbier et issu d’un foyer modeste de Londres, est finalement mort multimilli­onnaire, après avoir consacré sa vie entière à son métier de peintre. Alors que les critiques, conservatr­ices, ont surtout encensé la première phase de son oeuvre, des collection­neurs ont continué de le soutenir dans ses périodes plus abstraites, malgré l’aspect nettement avant-gardiste de son travail, raconte André Gilbert.

Chaque été, l’homme, qui a toujours vécu à Londres, voyageait à travers l’Europe, transforma­nt ses chambres d’hôtel en ateliers, et recouvrant ses carnets de paysages inquiétant­s.

Le MNBAQ expose d’ailleurs deux de ses carnets, ainsi que quantité d’aquarelles peintes au cours de ces voyages. « Ce sont des carnets qui ne sortent que rarement de la Tate Gallery », dit André Gilbert.

L’exposition, qui demeurera à l’affiche jusqu’au 2 mai prochain, compte en tout 77 peintures et oeuvres sur papier, provenant notamment du fond d’atelier de l’artiste qui a été légué à la National Gallery of British Art, ancêtre du Tate Britain d’aujourd’hui.

Le Devoir s’est rendu à Québec à l’invitation du MNBAQ.

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IDRA LABRIE MNBAQ
Durant toute sa carrière, William Turner ne s’est intéressé qu’aux paysages. IDRA LABRIE MNBAQ

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