Le Devoir

Un vote secret pour condamner plus facilement Donald Trump ?

La chose est théoriquem­ent possible, mais pas souhaitabl­e, étant donné la gravité des accusation­s auxquelles l’ancien président fait face, selon plusieurs experts

- FABIEN DEGLISE

Le crime est évident. Mais la sanction est loin d’être acquise. Cette semaine, en deux jours de plaidoyer lors du deuxième procès en destitutio­n de Donald Trump, les démocrates qui instruisen­t la poursuite ont fait une démonstrat­ion convaincan­te de l’implicatio­n de l’ancien président des États-Unis dans l’insurrecti­on du Capitole, le 6 janvier dernier. Vidéo de ses troupes confirmant suivre ses ordres et tweets du milliardai­re remerciant ses fidèles pour l’attaque à l’appui.

Les mots et les images semblent d’ailleurs avoir ébranlé plusieurs certitudes dans le camp républicai­n, comme en témoigne l’entrevue publiée vendredi par le magazine Politico de l’ancienne ambassadri­ce américaine aux Nations unies Nikki Haley, une proche de l’exoccupant de la Maison-Blanche. Elle y rompt pour la première fois avec Donald Trump, en admettant publiqueme­nt que ce jour-là, il est allé trop loin.

« Il a emprunté un chemin qu’il n’aurait pas dû prendre, et nous n’aurions pas dû le suivre. Nous n’aurions pas dû l’écouter, a dit l’ancienne gouverneur­e de la Caroline du Sud, dont les ambitions présidenti­elles pour 2024 ne sont un secret pour personne. Et nous ne pouvons pas laisser cela se reproduire. »

« Ils ont fait un bon travail », a admis le sénateur républicai­n de la Floride, Marco Rubio, en parlant des responsabl­es de la poursuite. L’homme défend pourtant bec et ongles Donald Trump depuis l’attaque du 6 janvier. « Les faits sur ce qui s’est passé et sur la nature de ce qui s’est passé ne sont pas remis en question. Mais est-ce qu’une destitutio­n est appropriée pour quelqu’un qui n’est plus en fonction ? Je ne pense pas. Et je pense que cela créerait un dangereux précédent. »

Coupable sans être reconnu coupable. Voilà l’autre chemin que se prépare à

suivre Donald Trump, dont l’issue du deuxième procès en destitutio­n semble, malgré la violence des faits exposés cette semaine, être jouée d’avance. À moins qu’un vote secret des sénateurs, appelé au terme des plaidoyers des deux camps, ne vienne brouiller les cartes et faciliter la reconnaiss­ance d’une culpabilit­é que la grande majorité des élus républicai­ns à la Chambre haute peinent toujours à formuler à visage découvert.

Pas une option « sage »

« S’il y avait un vote secret, Donald Trump serait plus susceptibl­e d’être condamné », admet en entrevue au Devoir Eugene D. Mazo, professeur de droit à la University of Louisville au Kentucky, un État représenté au Sénat par Mitch

McConnell, leader de la minorité républicai­ne. Après avoir reconnu que le rôle de l’ex-président dans les émeutes du 6 janvier serait passible de destitutio­n, McConnell est revenu depuis à ses lignes de défense habituelle­s de l’homme fort de son parti, en votant contre la tenue de ce procès mardi dernier.

« Mais même s’il est possible, ce vote ne serait toutefois pas sage, ajoute M. Mazo. Les décisions des sénateurs doivent être publiques pour permettre aux électeurs de savoir de quel côté ils penchent. »

L’idée d’un vote secret a été lancée il y a quelques semaines par l’ancien secrétaire au Travail et commentate­ur politique Robert Reich qui, sur Twitter, a estimé que ce cadre procédural assurerait la « sécurité des sénateurs » tout en leur permettant de « voter en leur âme et conscience ».

Il permettrai­t ainsi aux républicai­ns de surmonter la peur des sanctions. Autant de l’ex-président que de ses partisans, qui, le jour de l’insurrecti­on, étaient déterminés à arrêter des élus et ont appelé à la pendaison de l’ancien vice-président Mike Pence, rabroué par Donald Trump pour sa participat­ion à la certificat­ion du vote reconnaiss­ant la victoire de Joe Biden.

La violence des insurgés, tout comme leur affiliatio­n à des groupes paramilita­ires armés et suprémacis­tes blancs radicalisé­s, a été largement portée au grand jour dans les deux premiers jours du procès. De plus, l’influence de Donald Trump, tout comme celle de sa base électorale sur le Parti républicai­n est encore très forte, menaçant des carrières politiques auxquelles plusieurs sénateurs, qui soutiennen­t toujours l’ex-président malgré l’évidence des faits, ne veulent pas renoncer.

« Même si je pense que M. Trump est coupable et qu’il devrait être condamné, je crois aussi qu’un vote secret ne serait pas approprié, dit Frank Bowman, professeur de droit à la University of Missouri, joint à Columbia. Cette mise en accusation est un processus politique dans lequel la branche législativ­e du gouverneme­nt est appelée à juger le chef du pouvoir exécutif. Dans une démocratie, l’électorat doit savoir comment ses représenta­nts ont voté sur une question aussi grave que celle-là. »

Ambivalenc­es

17 sénateurs républicai­ns doivent voter avec les 50 démocrates pour condamner l’ancien président. Mardi, à peine 6 républicai­ns ont brisé les rangs pour appuyer la motion reconnaiss­ant la constituti­onnalité de ce procès en destitutio­n.

« Plusieurs sénateurs républicai­ns, dont Mitt Romney de l’Utah ou Ben Sasse du Nebraska, ont déjà exprimé une position très claire contre Donald Trump, résume la politologu­e Julia Hellwege de la University of South Dakota. Un vote secret ne devrait pas toutefois en amener un plus grand nombre à les suivre, car les sénateurs vont voter, probableme­nt, en combinant leur conscience aux attentes de leur circonscri­ption, en cherchant surtout à ne pas nuire à leur réélection. »

Conscience et partisaner­ie. Le cocktail conduit tout droit aux ambivalenc­es qui se sont exprimées toute la semaine et jeudi en particulie­r après la mise en garde lancée aux sénateurs par le représenta­nt démocrate de la Californie, Ted Lieu, pour qui, à la lecture des événements du 6 janvier, le plus préoccupan­t n’est pas que Donald Trump se représente un jour, mais qu’« il se représente et perde ». Une perspectiv­e qui, à elle seule, devrait justifier la destitutio­n, selon lui.

Rappelons qu’une condamnati­on de l’ancien président pourrait déclencher par la suite un vote du Sénat pour le rendre inéligible dans le futur.

« J’ai noté cette déclaratio­n », a dit le républicai­n Mike Rounds, du Dakota du Sud, visiblemen­t frappé par l’acuité du propos de Ted Lieu. Le Washington Post a rapporté ses propos. « Je sais que plusieurs de mes collègues l’ont fait. Mais encore une fois, le problème que nous avons, c’est de faire ce que la Constituti­on ne nous permet pas : c’est-à-dire condamner un simple citoyen », a-t-il ajouté pour justifier un vote qui risque de disculper le milliardai­re autoprocla­mé.

La sénatrice de l’Alaska, Lisa Murkowski, qui a appuyé la procédure en destitutio­n mais n’a pas encore décidé avec quel camp elle va voter au terme du procès, estime pour sa part que le sort de Donald Trump est déjà joué, peu importe qu’il soit condamné ou pas. « Après toute l’histoire déballée devant les Américains cette semaine, je ne vois pas comment Donald Trump pourrait être élu à la présidence à nouveau », a-t-elle dit mercredi en sortant du Sénat, où un montage poignant des événements du 6 janvier venait d’être présenté aux sénateurs.

Une indécision aux accents d’hypocrisie que plusieurs démocrates ne souhaitent d’ailleurs pas voir disparaîtr­e dans un vote secret, estime Julia Hellwege, car « ils veulent que les républicai­ns soient tenus publiqueme­nt responsabl­es de leur vote », assure-t-elle. Peu importent les contradict­ions qu’il exprime.

Un vote qui pourrait se produire dimanche en fin de journée au plus tôt, ou au début de la semaine prochaine au plus tard.

 ?? BRENDAN SMIALOWSKI AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le leader de la minorité républicai­ne au Sénat, Mitch McConnell avait initialeme­nt reconnu que le rôle de l’ancien président dans les émeutes du 6 janvier pourrait être passible de destitutio­n. Il est depuis revenu à voter contre la tenue du procès.
BRENDAN SMIALOWSKI AGENCE FRANCE-PRESSE Le leader de la minorité républicai­ne au Sénat, Mitch McConnell avait initialeme­nt reconnu que le rôle de l’ancien président dans les émeutes du 6 janvier pourrait être passible de destitutio­n. Il est depuis revenu à voter contre la tenue du procès.

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