Le Devoir

Ce qu’il vaut mieux taire, la chronique de Michel David

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Les libéraux qui reviennent sans cesse à la charge pour réclamer une enquête publique sur la gestion de la pandémie se souviennen­t bien de ce qui est survenu en 2011. Pendant des mois, le gouverneme­nt Charest avait refusé d’en déclencher une sur la collusion et la corruption dans l’industrie de la constructi­on, mais il avait finalement dû céder sous la pression de l’opinion publique.

La situation actuelle est cependant très différente. À l’époque, le PLQ, déjà usé par huit ans de pouvoir, était en chute libre dans les sondages et ne recueillai­t plus que 26 % des intentions de vote. Près de trois Québécois sur quatre (73 %) se disaient insatisfai­ts du gouverneme­nt Charest et 77 % réclamaien­t une enquête. Aux dernières nouvelles, les intentions de vote pour la CAQ frisaient les 50 % et le taux de satisfacti­on du gouverneme­nt Legault avoisinait les 70 %. À l’extérieur de l’Assemblée nationale, on ne sent pas un si grand appétit pour une enquête publique. Et quand la pandémie sera chose du passé, la population ne demandera sans doute pas mieux que de passer à autre chose.

Le premier ministre n’en fait pas moins un mauvais procès à l’opposition en l’accusant de ne pas faire confiance à la commissair­e à la santé, Joanne Castonguay, qui doit faire rapport d’ici le 1er septembre 2021. Personne ne conteste la compétence et l’indépendan­ce de Mme Castonguay, c’est plutôt l’étroitesse de son mandat qui pose problème. Il consiste à « évaluer la performanc­e du réseau de la santé, incluant les interventi­ons en matière de santé publique, spécifique­ment pour les gestions des soins et de l’hébergemen­t des aînés dans le cadre de la COVID-19 ».

« Spécifique­ment » n’est pas synonyme d’« exclusivem­ent ». Rien n’interdit à la commissair­e à la santé de déborder du cadre des CHSLD et des résidences pour aînés, mais il est clair que l’essentiel de son rapport y sera consacré. Si le triste sort réservé aux personnes âgées constitue assurément l’aspect le plus sombre de la pandémie, on ne peut pas faire abstractio­n des lacunes et des lenteurs dans la gestion plus globale de la crise sanitaire, non seulement au sein du réseau de la santé, mais dans la prise de décision au niveau politique.

L’opposition libérale a raison de craindre que l’enquête de Mme Castonguay soit le prélude à un procès de la réforme Barrette. Dès le départ, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a souligné que « bien avant la pandémie, on savait qu’il y avait plusieurs difficulté­s dans les milieux de vie pour aînés ». Sa collègue responsabl­e des Aînés, Marguerite Blais, a renchéri : « Déjà fragilisés avant la pandémie, les milieux de vie des personnes hébergées avaient besoin depuis trop longtemps d’une attention particuliè­re. »

La politique étant ce qu’elle est, les membres du gouverneme­nt Legault ne manquent aucune occasion de faire diversion en blâmant « l’ancien gouverneme­nt ». S’il est vrai que ce dernier doit porter une large part de responsabi­lité pour l’incapacité d’assurer la sécurité des personnes âgées et pour la lourdeur du réseau de la santé en général, rappeler ses erreurs ne nous apprendra rien de neuf.

Il est également malheureux que la commissair­e à la santé ne tienne pas d’audiences publiques. « La réalisatio­n de plus d’une centaine d’entrevues, un appel à témoignage­s et l’analyse poussée des données de la RAMQ et du MSSS est la voie privilégié­e pour analyser la performanc­e du système de soins aux aînés dans le contexte de la COVID-19 », a-t-elle indiqué d’entrée de jeu. Ceux qui consentent à témoigner doivent s’engager à ne rien révéler de ce qu’ils pourraient apprendre à l’occasion de leur comparutio­n.

Ce n’est pas le rapport de la commission Charbonnea­u qui a eu le plus grand retentisse­ment. La dissidence du commissair­e Renaud Lachance, qui a refusé de conclure à l’existence d’un lien, même indirect, entre l’octroi des contrats publics et les contributi­ons à la caisse libérale, a constitué une grande déception et a réduit considérab­lement son impact.

Ce sont plutôt les audiences télévisées qui ont marqué les esprits. On a battu les records d’écoute établis sept ans plus tôt par la commission Gomery, qui avait enquêté sur le scandale des commandite­s. Ce défilé d’hommes d’affaires véreux, de fonctionna­ires corrompus, de politicien­s hypocrites et sans scrupule a provoqué une profonde et durable indignatio­n.

On peut imaginer l’effet qu’aurait le témoignage public de ceux et celles qui ont vécu l’horreur en première ligne durant la pandémie. Comment ne pas s’émouvoir de la détresse du personnel épuisé, privé de l’équipement nécessaire et dont les appels au secours se sont perdus dans les dédales de la bureaucrat­ie, pendant qu’on assurait à la population que tout était sous contrôle ? Son gouverneme­nt a beau atteindre des sommets de popularité, M. Legault n’a certaineme­nt pas envie de choquer les électeurs à 18 mois du prochain scrutin. L’opposition libérale a raison de craindre que l’enquête de Joanne Castonguay soit le prélude à un procès de la réforme Barrette. Dès le départ, le ministre de la Santé, Christian Dubé, a souligné que « bien avant la pandémie, on savait qu’il y avait plusieurs difficulté­s dans les milieux de vie pour aînés ».

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