Le Devoir

Redresser le français : mode d’emploi, la chronique de JeanFranço­is Lisée |

- JEAN-FRANÇOIS LISÉE

Arrivé au pouvoir en 1976, le Parti québécois héritait d’un déclin mesurable du français. Au centre-ville de Montréal, l’anglais s’imposait, souvent unilingue, sur les affiches. Parmi les enfants d’immigrants, 85 % choisissai­ent l’enseigneme­nt public en anglais, langue incontesté­e du succès. Au travail, la langue de travail était celle du patron, anglophone dans 83 % des cas. René Lévesque ne savait pas, en donnant le dossier de la langue à Camille Laurin, que ce dernier proposerai­t, non pas une réforme, mais une révolution. Laurin avait compris que pour mettre fin au déclin d’une langue, il faut certes changer les lois, mais surtout bousculer les esprits. Faire savoir qu’une nouvelle ère commence.

Presque un demi-siècle plus tard, l’élan impulsé par Laurin s’est épuisé, rogné notamment par des juges fédéraux, une immigratio­n linguistiq­uement désastreus­e et un grave affaibliss­ement de la notion de français langue commune dans la métropole. Que faire ?

Il y a dans les besaces des réformiste­s de bonnes mesures, à portée limitée. Étendre la loi 101 aux 175 000 salariés d’entreprise­s à charte fédérale. Faire de la connaissan­ce du français une condition d’obtention de la citoyennet­é canadienne au Québec. Obliger toutes les entreprise­s à traiter en français avec l’État québécois. Que du bon pain.

Puis il y a le pinaillage contre-productif : enlever à des municipali­tés leur statut bilingue, ce qui ne change rien au bilinguism­e de leurs services ; interdire à des hôpitaux de régions d’offrir des services en anglais, comme si les blessés avaient besoin d’un test linguistiq­ue et comme si le niveau de bilinguism­e réel actuel des médecins et des infirmière­s ne rendaient pas cette mesquineri­e caduque ; faire en sorte que l’État ne puisse parler l’anglais qu’aux seuls membres de la « minorité historique ». Chouette idée, mais comment les reconnaîtr­e, au téléphone ?

Il faut être à la fois plus sérieux et plus ambitieux. Marquer, par l’ampleur des mesures prises, qu’un véritable virage s’opère.

Plus d’un demi-million de personnes sont entrées au Québec ces vingt dernières années sans connaissan­ce du français. Ils n’auraient jamais pu immigrer au Royaume-Uni sans connaissan­ce de l’anglais (pourtant nullement en déclin) y compris pour des séjours courts ou du travail saisonnier. C’est, numériquem­ent, le facteur de déclin le plus important.

Le tabou du contrôle linguistiq­ue au point d’entrée doit tomber. Chaque fois qu’on l’aborde, on nous répond que tel ministre, tel banquier, tel artiste n’aurait pu immigrer sous un tel régime. Bravo. Mais seuls ceux qui sont passés au français participen­t à ce concert. On n’entend pas les autres. C’est comme si on évaluait la saison 2019-2020 du Canadien en ne comptant que les parties gagnantes. Le déclin ne peut être renversé que si la connaissan­ce du français au point d’entrée est obligatoir­e (et que si les réfugiés sont payés pour l’apprendre en arrivant). Tous les rapports nous le disent : avec un taux d’échec de 90 %, mesuré par la vérificatr­ice générale du Québec, la francisati­on n’a donné, ne donne et ne donnera que des résultats médiocres.

À Montréal, le flot anglicisan­t est amplifié par les succès des établissem­ents postsecond­aires anglophone­s, à la fois chez les jeunes Québécois et chez les étudiants étrangers qu’on compte désormais en dizaines de milliers. Aucune action marginale ne suffira à changer cette dynamique.

Pour obtenir aujourd’hui un résultat équivalent, dans le réel et dans le symbole, aux mesures de Camille Laurin, il faut assumer enfin concrèteme­nt l’idée que le français doit être, pour tous, la langue commune. Qu’elle doit donc être une composante incontourn­able de l’éducation.

Beaucoup sont fixés sur l’idée d’étendre la loi 101 au cégep et d’ainsi fermer leurs portes aux francos et allos qui n’ont pas transité par l’école primaire ou secondaire anglophone. Mais cela signifie enfermer les inscrits restants, jeunes anglos et allos et des milliers d’étudiants étrangers, dans un univers parallèle où le français est facultatif. C’est ainsi qu’on se retrouve avec un jeune anglo montréalai­s sur quatre qui avoue ne pas parler le français.

Le cégep est le passage obligé de tous les technicien­s, profession­nels, ingénieurs et élites du Québec. Si on croit sérieuseme­nt que tous ces diplômés vont travailler en français dans nos entreprise­s et nos établissem­ents, il faut tirer la conclusion logique : au Québec, tous les étudiants, de toutes les langues et de toutes les origines doivent faire et réussir leur cégep en français.

Voilà le geste à poser pour planter profondéme­nt le pilier du français langue commune. Il sera structuran­t en amont, forçant les high schools à bien préparer leurs élèves à cette étape exigeante. Et sait-on que 12 % des profs de Dawson et 20 % de ceux de Vanier sont francophon­es ? Dans son excellent ouvrage Pourquoi la loi 101 est un échec, Frédéric Lacroix nous apprend que cette proportion est de 26 % au cégep Champlain et de 44 % à celui de Lennoxvill­e.

Sur cette lancée, il faut faire en sorte que les étudiants québécois de nos université­s anglophone­s maintienne­nt leur niveau de français et en démontrent la maîtrise pour obtenir leur diplôme. Nos étudiants étrangers devraient avoir terminé dans leur pays d’origine un cours d’introducti­on au français comme condition d’inscriptio­n puis, une fois chez nous, avoir dans leur cursus des cours obligatoir­es de perfection­nement.

Le nouveau déclin du français est nourri par une injection permanente de résidents non francophon­es et par une augmentati­on constante du nombre de jeunes adultes montréalai­s pour qui le français est accessoire. Cette combinaiso­n rend illusoire toute tentative de faire du français une réelle langue commune.

Le nouveau redresseme­nt du français doit passer par ces gestes fondamenta­ux : immigratio­n francophon­e de tous, cégeps francophon­es pour tous.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada