Le Devoir

Bitcoin et éthereum se taillent la part du lion

- CLÉMENCE PAVIC ET ULYSSE BERGERON

Alors que la valeur d’un bitcoin frôle les 50 000 dollars américains et que la plus célèbre des cryptomonn­aies gagne en reconnaiss­ance, plusieurs banques centrales critiquent fortement les risques liés à ces actifs volatils, sans toutefois écarter la possibilit­é de créer un jour leurs propres monnaies numériques. Le Devoir fait le point sur l’avenir de ce secteur qui retient l’attention.

C’est Tesla qui a ouvert le bal cette semaine en annonçant lundi un investisse­ment de 1,5 milliard de dollars américains dans le bitcoin, confirmant également sa volonté d’accepter la cryptomonn­aie comme mode de paiement.

Le surlendema­in, Mastercard officialis­ait des transactio­ns en cryptomonn­aie et la plus vieille banque américaine, BNY Mellon, annonçait son intention de gérer des actifs numériques, dont le bitcoin. Ces annonces s’ajoutent à celles des derniers mois de la part de grandes entreprise­s : PayPal, Square, MicroStrat­egy, et Visa.

Dans l’univers des cryptomonn­aies, un « ménage est en train de s’effectuer », constate Martin Lalonde, président de Rivemont, un des rares gestionnai­res canadiens à proposer un fonds d’investisse­ment composé de bitcoins et d’éthereum.

À elles deux, le bitcoin et l’éthereum représente­nt respective­ment 60 % et 15 % de la valorisati­on d’un secteur où plus de 4000 cryptomonn­aies sont recensées. La valeur d’Éthereum a augmenté de 570 % en un an alors que celle du bitcoin a bondi de plus de 360 %.

« Le marché leur a trouvé une utilité, indique M. Lalonde. Le bitcoin est utilisé comme une valeur refuge. Pour sa part, Éthereum suscite l’intérêt pour son potentiel technologi­que avec ces algorithme­s pour payer et ses contrats intelligen­ts. »

Est-ce pour autant le chant du cygne des autres cryptomonn­aies ? Non, répond Martin Lalonde : « Je pense qu’une cryptomonn­aie va s’imposer sur le plan technologi­que comme celle qui pourra servir réellement de mode de paiement. »

La fin des ICO

La baisse du nombre de cryptomonn­aies créées au cours des dernières années découle en partie de la quasidispa­rition d’une méthode de financemen­t dont celles-ci étaient les pierres angulaires : les Initial Coin Offering (ICO). Les ICO consistent à créer et à émettre une cryptomonn­aie qui s’appuie sur la technologi­e blockchain.

La méthode de financemen­t a longtemps été présentée comme un mélange entre l’émission d’actions et le sociofinan­cement. « C’est l’équivalent de préachat d’un service », résume Pascal Leblanc, président de Mantle Technologi­es, une firme de cybersécur­ité spécialisé­e dans l’infonuagiq­ue et la chaîne de blocs.

Les ICO ont connu leur âge d’or entre 2016 et fin 2017, ce qui explique l’effervesce­nce dans la création de nouvelles cryptomonn­aies au cours de cette période. Leur nombre dépasse aujourd’hui 4000. « La technologi­e développée par Éthereum en 2015 a facilité l’émission d’ICO parce que tout le monde pouvait en faire sans avoir de compétence en informatiq­ue », indique-t-il.

« C’était facile de lever des millions de dollars parce que les procédures de vérificati­on de ces types de financemen­ts étaient moins encadrées. Aussi, c’est une façon de faire qui permettait d’avoir plus de latitude à l’égard de ceux qui investissa­ient dans un projet ou une promesse de projet », explique-t-il.

À l’automne 2018, Ernst & Young a publié une étude dans laquelle la firme s’intéressai­t aux plus importante­s ICO de 2017. Elle soulignait les « risques élevés de fraude, de vol et des problèmes majeurs d’exactitude des déclaratio­ns faites par les startups à la recherche de financemen­t ».

Autres constats : 86 % des cryptomonn­aies avaient vu leur valeur dégringole­r sur une période d’un an et 30 % d’entre elles avaient perdu la quasi-totalité de leur valeur. De plus, près de 80 % des projets financés n’avaient pas l’étape de l’idéation.

À cela s’ajoute le fait que les ICO s’appuyaient sur un paiement par bitcoin

570 %

Il s’agit de l’augmentati­on de la valeur de la cryptomonn­aie éthereum en l’espace d’un an

et par éthereum. En 2017, les prix des deux cryptomonn­aies s’étaient envolés. « Ça stimulait les autres cryptomonn­aies », dit-il. Du coup, lorsque les valeurs du bitcoin et d’ethereum en 2018, le financemen­t par ICO a pour ainsi dire disparu.

Mise en garde

La prochaine étape est-elle que les États développen­t par eux-mêmes leur propre cryptomonn­aie ? En Chine, le gouverneme­nt teste déjà une monnaie virtuelle en prévision d’un lancement en février 2022.

La Banque du Canada n’écarte pas la possibilit­é d’emboîter le pas, mais garde de grandes réserves par rapport aux cryptomonn­aies, très volatiles. Mercredi, son sous-gouverneur, Timothy Lane, qui préside un groupe de travail internatio­nal sur ces questions au Conseil de stabilité financière, a reconnu que, si elles étaient stables, elles auraient « le potentiel d’être adoptées à grande échelle pour les transactio­ns courantes, mais aucune n’est proche de ce stade. »

Et si le public veut vraiment d’une monnaie numérique, l’émission devra en être réservée à la Banque centrale, « une institutio­n publique de confiance », estime M. Lane. Selon lui, les cryptomonn­aies actuelles « sont des modes de paiement vraiment imparfaits — sauf pour les activités illégales comme le blanchimen­t d’argent ».

Une inquiétude que partage la nouvelle secrétaire au Trésor américain, Janet Yellen. « La mauvaise utilisatio­n des cryptomonn­aies et des actifs virtuels est un problème croissant », a-telle soutenu lors d’une table ronde sur l’innovation dans le secteur financier, mercredi.

L’économiste voit « la promesse de ces nouvelles technologi­es ». Toutefois, elle fait une mise en garde : « Les cryptomonn­aies ont été utilisées pour blanchir les profits des trafiquant­s de drogue en ligne ; elles ont été un outil pour financer le terrorisme. »

Louis Roy, président de Catallaxy — une filiale de Raymond Chabot Grant Thornton spécialisé­e dans les actifs numériques — ne partage pas cet avis. « Quand on parle de transactio­ns illégales, je vous dirais qu’il y en a autant en argent liquide », explique-t-il.

Selon lui, les cryptomonn­aies présentera­ient même un avantage par rapport aux devises traditionn­elles, dans la mesure où « toutes les transactio­ns sont traçables ». « Il y a des façons de remédier à l’anonymat des transactio­ns en associant un nom à chaque clé », selon lui.

De l’avis de M. Roy, les cryptomonn­aies actuelles ne répondent pas aux critères d’une monnaie dans la mesure où elles sont beaucoup trop volatiles. « Mais cela ne veut toutefois pas dire que ça n’arrivera pas un jour. Mais je pense qu’on va voir l’arrivée de la monnaie virtuelle étatique avant. C’est une question de temps », pense-t-il.

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MARTIN LALONDE Le bitcoin est utilisé comme une valeur refuge. Pour sa part, Éthereum suscite l’intérêt pour son potentiel technologi­que avec ces algorithme­s pour payer et ses contrats intelligen­ts.

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