Le Devoir

Le projet de loi sur le patrimoine n’affiche pas le leadership souhaité

- Réginald Auger Professeur associé, CELAT et Départemen­t des sciences historique­s, Université Laval *

Au mois de novembre 2020, la nation huronne-wendate a transmis à une dizaine d’archéologu­es une copie du mémoire qu’elle a déposé au ministère de la Culture et des Communicat­ions (MCC) dans le cadre du dépôt du projet de loi 69 visant à modifier la Loi sur le patrimoine culturel. La lecture du mémoire avait déclenché chez plusieurs d’entre nous une vive réaction, tant sur le plan scientifiq­ue que sur le plan moral, et nous avons ainsi opté pour une prise de position publique afin d’appuyer les revendicat­ions de nos collègues et collaborat­eurs de toutes les nations autochtone­s du Québec. Nous avons écrit à la ministre et aux médias, le 23 décembre 2020, pour leur faire part de nos objections et de nos inquiétude­s à propos du projet de loi 69. La directrice générale du patrimoine nous a répondu en expliquant succinctem­ent que le ministère juge adéquates les procédures actuelles de consultati­on des communauté­s autochtone­s ainsi que les propositio­ns de modificati­ons de la loi en ce qui concerne la protection du patrimoine archéologi­que.

D’un point de vue scientifiq­ue, il nous apparaît important d’inclure dans ce projet de loi de nouvelles dispositio­ns sur le patrimoine archéologi­que. À titre d’exemple, le remaniemen­t de la Loi sur le patrimoine culturel tel que proposé par ce projet de loi porte essentiell­ement sur le patrimoine bâti. Les autorisati­ons que la loi met en place s’appliquent au patrimoine touché par les travaux de restaurati­on du bâti alors qu’elles devraient s’appliquer à toutes les occupation­s humaines enfouies, et ce, même si elles n’ont pas nécessaire­ment de liens directs avec le bâti. Cette clarificat­ion s’avère essentiell­e pour éviter les dérapages récents que nous avons connus durant des travaux visant à sauvegarde­r le bâti.

De plus, il faut savoir que les interventi­ons archéologi­ques génèrent des collection­s et des données qu’il faut analyser et interpréte­r pour que les connaissan­ces deviennent accessible­s, ce qui ne peut généraleme­nt se faire dans la période d’un an actuelleme­nt accordée au détenteur de permis de recherche archéologi­que. Des modificati­ons doivent être apportées pour que les résultats des permis délivrés par le MCC servent à des fins scientifiq­ues et ultimement à des fins éducatives en vue d’en faire bénéficier la population. Une autre défaillanc­e du projet de loi est le fait que le propriétai­re du terrain (par exemple, un promoteur immobilier) demeure le propriétai­re du patrimoine archéologi­que après les interventi­ons archéologi­ques, et ce, même lorsqu’il s’agit de biens autochtone­s.

Manque de sensibilit­é

D’un point de vue moral, la version actuelle du projet de loi 69 fait perdurer une posture colonialis­te à l’endroit de l’histoire des Premières Nations et des Inuits. À l’heure actuelle, ce projet de loi n’affiche pas la sensibilit­é et le leadership que souhaite la société québécoise dans son ensemble, société qui s’interroge sur le sort du patrimoine culturel face au développem­ent sans encadremen­t adéquat et aux décisions trop souvent arbitraire­s qui sont prises faute d’une législatio­n adéquate. Plusieurs nations autochtone­s du Québec s’impliquent de plus en plus dans le devenir de leur patrimoine archéologi­que, mais elles ne sont pas consultées adéquateme­nt. Ce projet de loi ne contribue qu’à exacerber la situation.

À l’instar de plusieurs autres personnes, dont Mme Phyllis Lambert et M. Serge Joyal dans une récente lettre ouverte dans Le Devoir, nous, les archéologu­es soussignés, demandons au gouverneme­nt du Québec de retirer immédiatem­ent le projet de loi 69 afin qu’une vraie consultati­on puisse se faire avec les diverses nations autochtone­s du Québec ainsi qu’avec les autres parties prenantes qui n’ont pas été consultées, notamment les archéologu­es.

* Ce texte est signé par une quinzaine de professeur­s et d’archéologu­es, dont on trouvera la liste sur nos plateforme­s numériques.

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