Le Devoir

L’antiracism­e au Québec

- Gérard Bouchard

Historien, sociologue, écrivain, Gérard Bouchard enseigne à l’Université du Québec à Chicoutimi dans les programmes en histoire, sociologie / anthropolo­gie, science politique et coopératio­n internatio­nale. Il est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les imaginaire­s collectifs.

La majorité francophon­e québécoise est présenteme­nt la cible d’un procès pour racisme mal fondé qui réveille de mauvais souvenirs. C’est le fait d’une nouvelle gauche qui s’est manifestée lors des controvers­es sur l’appropriat­ion culturelle, sur l’utilisatio­n des mots « nègres blancs » de Pierre Vallières, sur la loi 21 et sur le racisme systémique.

Ces contestati­ons méritent d’être entendues, car elles ne sont évidemment pas sans fondement. Le problème vient de ce qu’elles sont poussées beaucoup trop loin.

L’appropriat­ion culturelle

On retient de cette controvers­e que la réflexion de la majorité sur les minorités ne peut se faire en vase clos. Dans un esprit pluraliste, elle doit s’appuyer sur un croisement des points de vue afin de rapprocher et d’enrichir celui de chacun. C’est ce qu’enseigne l’intercultu­ralisme.

L’inverse est aussi vrai. Les minorités doivent accepter que des membres de la majorité se penchent sur leur réalité pour l’explorer et la commenter à leur façon. En matière de recherche, par exemple, exigera-t-on que seuls les Autochtone­s ou les Afro-Américains puissent travailler sur leurs communauté­s ?

Cette règle conduirait à un cloisonnem­ent appauvriss­ant. Il se trouve pourtant des militants pour la défendre.

Le mot en n…

J’ai exprimé mon opinion sur ce sujet ici même (28 octobre). J’en rappelle l’idée principale. Dès lors que, pour des raisons bien connues, cette expression est profondéme­nt blessante pour la communauté concernée, il est sage de la bannir du langage courant. Mais il serait abusif d’en interdire la référence au sein de l’institutio­n universita­ire quand, dans une démarche antiracist­e, on veut expliquer le sens dont le mot est chargé et la genèse de cette dérive.

La loi 21

J’ai combattu cette loi et crois toujours qu’elle va trop loin. Mes raisons sont d’ordre juridique et sociologiq­ue : la loi brime un droit sans justificat­ion suffisante et, en dressant des minorités contre la majorité, elle compromet l’intégratio­n collective.

Je comprends cependant les arguments de ses partisans. L’adhésion à une vision républicai­ne du Québec est parfaiteme­nt défendable. Elle prône une conception de l’égalité citoyenne qui a ses lettres de noblesse (et aussi ses revers : on les voit bien en France). D’autres raisons de soutenir la loi tiennent à un passé d’oppression dont l’une des sources est l’autoritari­sme de l’Église. Cela explique en partie l’appui féministe à cette loi et, plus généraleme­nt, la méfiance de la majorité envers les religions.

La loi est contestée devant les tribunaux, c’est le droit le plus strict de ses opposants. Mais je ne participer­ai pas à cette contestati­on, et cela pour trois raisons. Premièreme­nt, des intervenan­ts exploitent cette affaire pour ternir injustemen­t l’image de la majorité en l’accusant de racisme. Je refuse d’être associé à cette démarche. Deuxièmeme­nt, au Canada anglais, la loi réactive la vieille machine du dénigremen­t québécois. Il me répugnerai­t d’y participer. Enfin, cette loi a été dûment sanctionné­e par la démocratie parlementa­ire. Je respecte ce verdict.

Le racisme systémique

Le racisme existe partout, au Québec comme ailleurs, et il doit être vivement combattu sous toutes ses formes (le rapport que j’ai signé en 2008 avec

Charles Taylor le dénonçait fermement). Je pense aussi que M. Legault s’est installé dans une position intenable en rejetant l’expression. Il doit désormais guerroyer sur deux fronts, l’un sur le mot, l’autre sur la chose. Il se serait passé du premier.

Une nouvelle gauche

Des intellectu­els québécois engagés dans la lutte antiracist­e font valoir que le rejet des Noirs compose la trame principale du passé québécois. Il serait au coeur de notre devenir : l’identité nationale et la nation ellemême se seraient construite­s sur cette base et s’en seraient nourries. L’esclavagis­me aurait sévi au Québec au même titre qu’aux États-Unis et en Amérique latine, mais nos élites se seraient soigneusem­ent employées à cacher ce fondement honteux de notre nation.

À cause de son excès, cette thèse est aussi fausse que maladroite. Fausse parce qu’elle s’appuie sur des bases scientifiq­ues déficiente­s, maladroite parce qu’elle indispose nombre de Québécois qui seraient des alliés naturels dans le combat antiracist­e.

Une autre conséquenc­e découle de tout ce qui précède : les vieilles luttes québécoise­s contre le colonialis­me et pour l’émancipati­on collective se trouvent tout à coup non seulement marginalis­ées, mais dépouillée­s de leur légitimité. Une réaction s’impose : il faut sauver le néonationa­lisme québécois et l’idéal de la souveraine­té.

Parce qu’elles versent dans l’excès, ces contestati­ons de bonne foi servent mal la cause même de l’antiracism­e au Québec.

À propos de Mme Bochra Manaï

Les déclaratio­ns de la nouvelle commissair­e à la lutte contre le racisme et la discrimina­tion à Montréal sont exactement dans l’esprit de ce que je dénonce ici : la loi 101 serait antidémocr­atique, le Québec serait « devenu une référence pour les suprémacis­tes et les extrémiste­s du monde entier ». Ces propos sont inadmissib­les. On attend de Mme Manaï des excuses, des rétractati­ons. Ou une démission.

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