Le Devoir

De petites boîtes dynamiques |

- JEAN-BENOÎT NADEAU COLLABORAT­ION SPÉCIALE

« Je ne veux plus qu’on s’excuse d’être petits et francophon­es : on est comme nulle part ailleurs », dit Luc Bussières, recteur de l’Université de Hearst, un établissem­ent de 208 étudiants dans cette petite ville de 5000 habitants établie à la limite de la forêt boréale.

Au coeur du Nord ontarien, au milieu de la forêt boréale, la ville de Hearst peut se vanter d’avoir « son » université francophon­e depuis 1977. « Je ne veux plus qu’on s’excuse d’être petits et francophon­es : on est comme nulle part ailleurs », dit Luc Bussières, recteur de l’Université de Hearst, une petite ville de 5000 habitants à 95 % francophon­e surnommée le « Petit Québec ».

Mis à part le cas de l’Université de Moncton, qui est la géante du groupe, la plupart des université­s francophon­es des autres provinces sont de taille modeste. La deuxième en importance, l’Université de Saint-Boniface au Manitoba, est de la taille d’une polyvalent­e moyenne. « Nos établissem­ents ont une taille humaine », corrige Sophie Bouffard, rectrice de l’Université de Saint-Boniface. « Ça nous pousse à la créativité et à l’innovation. Notre École des sciences infirmière­s et des études de la santé a été la première au Manitoba à obtenir l’agrément de cinq ans de l’Associatio­n canadienne des écoles en sciences infirmière­s. »

Révolution pédagogiqu­e

Ces université­s ont un fort ancrage communauta­ire. La création de l’école de traduction de l’Université Saint-Boniface, par exemple, n’est pas étrangère au fait que le Manitoba a dû traduire toutes ses lois unilingues depuis le fameux renvoi de la Cour suprême de 1985 qui l’oblige à le faire.

Dès son accession au rectorat de l’Université Sainte-Anne en 2011, Allister Surette a souhaité que cet établissem­ent

devienne plus qu’une boîte à cours. En plus d’attacher quelques chaires de recherche à son Centre acadien, il a inauguré un Centre de recherche sur le homard et plus récemment un laboratoir­e de recherche vinicole. « Il fallait y mettre plus d’efforts parce qu’on est un des seuls campus universita­ires purement ruraux », dit Allister Surrette, qui fut ministre des Ressources humaines et des Affaires acadiennes de la NouvelleÉc­osse dans les années 1990. « Ici, c’est juste une longue rue et on passe d’un village à l’autre en continu. »

Le contexte dans lequel elles évoluent appelle à l’ingéniosit­é. Aux prises avec un grave problème de recrutemen­t il y a dix ans, l’Université de Hearst a surmonté le problème en instituant l’enseigneme­nt par « bloc », une réforme pédagogiqu­e inspirée du Colorado College, qui est une petite révolution très suivie en matière de pédagogie universita­ire.

« Le modèle par bloc consiste à donner un cours à la fois à un maximum de 25 personnes pendant trois semaines intensives. Puis on passe à autre chose », dit Luc Bussières. L’effet de cette réforme n’a pas tardé à se faire sentir : le recrutemen­t a bondi de 88 à 208 étudiants, dont 60 % d’étrangers venus d’Afrique, du Vietnam, d’Haïti, de France, ce qui a changé bien des choses dans une petite ville comme Hearst, mais aussi Kapuskasin­g et Timmins, où se situent ses deux autres campus.

À l’exception de Moncton, qui ne compte que 1 % d’étudiants issus de l’immersion, la plupart des université­s francophon­es misent fortement sur cette clientèle. Ce qui n’est pas sans problème. Les Québécois qui visitent ces campus sont souvent désarçonné­s d’y entendre beaucoup d’anglais en dehors des salles de cours.

Le problème de l’anglais de corridor

« On est en milieu minoritair­e. Même nos étudiants francophon­es se sont habitués à parler anglais à l’école publique », admet Allister Surette, qui a lui-même étudié en anglais à l’époque où il n’existait aucun conseil scolaire francophon­e et où les écoles françaises étaient rares. « C’est un défi pour tous les établissem­ents. »

Également préoccupé par le problème de l’anglais de corridor, Pierre-Yves Mocquais ne veut pas non plus jouer à la police de la langue et décourager les vocations. « Les plus engagés dans la vie du campus et les activités en français, ce sont nos étudiants d’immersion. Ils en veulent, ils y croient, ils y pensent très sérieuseme­nt. »

Ahdithya Visweswara­n, un étudiant de 2e année en éducation au Campus Saint-Jean, en est l’exemple probant. Avec une amie fransaskoi­se, il vient de créer un balado, Les Francos oubliés, qui donne une voix aux francophon­es minoritair­es. « Mais quand un enseignant nous dit de parler en français, on va avoir tendance à réagir en parlant en anglais. C’est comme ça que nos jeunes cerveaux marchent. On ne fera pas ce qu’on nous dit de faire. »

À cet égard, le recrutemen­t d’étudiants étrangers sert également la cause en contribuan­t à la francisati­on. « Ce n’est pas nouveau. Autrefois, les pères eudistes recrutaien­t déjà au Québec », rappelle Allister Surette. Du nombre, on compte l’ancien directeur du Devoir, Jean-Louis Roy, qui a été chancelier de l’Université Sainte-Anne de 2001 à 2007.

Dans des communauté­s francophon­es qui peinent à recevoir leur part d’immigrants, les recteurs surveillen­t de près le taux de rétention des étudiants étrangers. À ce chapitre, c’est clairement l’Université de Saint-Boniface qui mène le bal. « Plus de 70 % de nos diplômés internatio­naux des trois dernières années ont finalement immigré au Canada », dit Sophie Bouffard. En guise de comparaiso­n, c’est presque le double du taux d’implantati­on des étudiants étrangers de l’Université de Moncton.

Ouvrir des horizons

Pierre-Yves Mocquais, lui, ne voit pas les choses du même oeil. « Le recrutemen­t internatio­nal, j’ai mis le ralenti sur ça. On a tendance à envisager l’internatio­nalisation comme une source de revenus. Mais nous, pour renforcer le bilinguism­e, nous avons préféré développer des liens d’échange et de partenaria­ts avec d’autres établissem­ents étrangers, comme Kinshasa, Beyrouth et Haïti. Ça permet à nos étudiants et à nos professeur­s d’envisager la francophon­ie dans une autre perspectiv­e que juste le recrutemen­t, en ouvrant des horizons. »

Le problème qui préoccupe tous les recteurs des université­s francophon­es, c’est le financemen­t. Étranglée financière­ment, l’Université de l’Alberta envisage de déménager la Faculté Saint-Jean sur le campus principal, vidant le quartier francophon­e d’Edmonton de sa principale institutio­n. En réaction, l’Associatio­n canadienne-française de l’Alberta a intenté un recours en justice en septembre 2020 contre le gouverneme­nt albertain et l’université.

« Le financemen­t, c’est ce qui me réveille la nuit. On n’a pas d’économies d’échelle », dit Sophie Bouffard. « Nos octrois diminuent. Au provincial, les hausses sont gelées à 1 % par an. Au fédéral, les montants ne bougent plus depuis plusieurs années. Mais l’inflation, elle, continue. »

« Ici, dans l’Ouest, il y a beaucoup de monde qui croit que c’est le fédéral qui soutient les université­s anglophone­s du Québec », dit Pierre-Yves Mocquais. « Je rêve du jour où les université­s anglophone­s du Québec vont venir ici pour donner l’heure juste et rappeler que c’est le Québec qui soutient ses université­s anglophone­s et que ça devrait être la même chose ici pour les établissem­ents francophon­es. »

Les plus engagés dans la vie du campus et les activités en français, ce sont nos étudiants d’immersion. Ils en veulent, ils y croient, ils y pensent très sérieuseme­nt.

PIERRE-YVES MOCQUAIS

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