Apprivoiser le fléau
Par-delà leurs inquiétudes vis-à-vis des effets terribles de la COVID sur la santé, l’art, l’économie et la suite du monde, certaines personnes, plus asociales, vivent mieux que d’autres la retraite forcée. Question de tempérament, de type d’activité, de milieu ambiant parfois. Les rêveries du promeneur solitaire ont leurs charmes…
« Le confinement auquel nous soumet la COVID-19 ne change pas grand-chose à mon au jour le jour d’écrivain », écrit Robert Lalonde dans son dernier ouvrage La reconstruction du paradis (Boréal). Avant d’ajouter : « Je crois bien que cette désertion des humains depuis plusieurs semaines, d’une certaine façon fait ma joie. Honte à moi ? »
Au fil d’une prose pondue à l’abri du brouhaha du monde, on éprouve son sentiment de libération comme sa pointe d’inquiétude. Désolidarisé de ses semblables qui souffrent de détresse sociale durant la pause, Robert Lalonde ? Mais non, juste un pied à côté.
Il habite en pleine nature parmi les chevreuils qui lapent le sel répandu sur la route et les mésanges qui frétillent et ça fait du bien de voir l’écrivain québécois aborder ces rives intérieures. Tant de personnes subissent l’isolement. Certaines, plus rares, le savourent. Les catastrophes peuvent aussi être des occasions de jeter du lest, de reconsidérer ses valeurs, lance ce livre en substance.
Lalonde nous a habitués à ses oeuvres introspectives. Ici, l’auteur également comédien aborde la perte, passeport aussi pour une délivrance. Lui et sa compagne vivent le deuil de leur ancienne maison qu’ils avaient construite et habitée durant quarante ans. Un havre consumé de fond en comble le 26 décembre 2018 avec 4000 livres, les tableaux, les souvenirs. Une bibliothèque qui flambe, c’est un rapport au monde qui s’écroule.
« Marie-Claire Blais, Virginia Woolf, Jean Giono, Faulkner, Hemingway, Gabrielle Roy, Albert Camus, Colette, Maupassant, Flannery O’Connor et tant d’autres proches amis ont brûlé, indispensables compagnes, camarades de première nécessité », écrit-il. Puis un peu plus bas : « Aujourd’hui, je crois que je ne me raconte pas d’histoires quand je dis à la fois “hélas” et “bon débarras”. »
Entre ses retrouvailles avec quelques volumes rescapés et son impression de renaître ailleurs, cette immense importance accordée aux ouvrages disparus… Et de regarder en lui défiler les années emmêlées aux livres et à leurs auteurs : « Tout ce qui s’est tramé en moi à déchiffrer les partitions de ces écrivains de haute taille. »
Aujourd’hui dans nos univers dématérialisés, nombreux sont ceux qui se sont départis de leurs bibliothèques. Mais de grands lecteurs fidèles à leurs amours de papier vivent autrement leur perte accidentelle, telle une amputation mêlée à cette sensation d’allégement succédant aux deuils.
La reconstruction du paradis m’est apparue comme un hommage aux auteurs de la vie de Lalonde, leurs voix littéraires toujours en lui, tandis qu’il traduit Leaves of Grass de Walt Whitman, fanal dans sa brume. Je vois aussi ce livre comme un chant de résilience en écho à nos temps de pandémie. Soudain, bien des acquis partent en fumée. On regarde comme lui au loin, en quête d’autre chose avec des bagages allégés pour le voyage.
Décevante Face cachée
Puisque le confinement change aussi nos moeurs télévisuelles, j’aimerais revenir sur la captation à Télé-Québec de La face cachée de la lune de Robert Lepage en fin de semaine dernière. L’événement avait tellement pris d’ampleur dans nos esprits avant sa projection que le poids des attentes était démesuré. Pensez donc ! Un téléthéâtre, comme au bon vieux temps. C’est devenu si rare, si précieux. On en salivait à l’avance. On chantait tous son avènement. Sauf que…
Tant de spectateurs voulaient le regarder que le site de TQ a planté, au grand dam de plusieurs devant leurs ordis et leurs tablettes. Devant la télé, les pubs charcutaient la pièce à tout bout de champ en nous coupant de sa sève.
Ce n’était pas une grande captation : autant l’admettre. La caméra était trop éloignée du champ des deux acteurs, Robert Lepage et Yves Jacques. Le blême éclairage laissait la scène en pleine pénombre. Et puis, on aurait espéré quelques décors mieux plantés, des effets spéciaux nouveaux et saisissants, davantage que des fils (visibles) pour soulever apparemment Yves Jacques au-dessus de la croûte terrestre.
La face cachée de la lune est une excellente pièce de Robert Lepage. Et le film qu’il en avait tiré ravissait. Mais cette adaptation télé m’a déçue, faute d’avoir été mieux ficelée, sans rendre justice à l’oeuvre initiale. Espérons que les prochains téléthéâtres de Télé-Québec seront de facture plus originale et sans pauses publicitaires, si choquantes à cette enseigne. Il y a moyen d’utiliser le média du petit écran à son maximum. Pas d’en ignorer les pleines ressources, comme ce fut le cas ici.