Le Devoir

Réapprendr­e le dehors

Le documentai­re Les libres suit quatre ex-détenus en processus de réinsertio­n profession­nelle

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Plus jeune, Nicolas Lévesque aidait son père à bûcher et à défricher la terre familiale, à la faveur de l’hiver. Dépêchés par la prison voisine de Roberval, des détenus venaient leur prêter mainforte : premiers pas vers une réinsertio­n prochaine. Passée l’intimidati­on initiale, le futur documentar­iste fut frappé par l’harmonie ambiante, par le fait que chacun paraissait plus à sa place dehors « qu’en dedans », pour reprendre la formule consacrée. L’expérience le marqua durablemen­t, en témoigne son récent documentai­re

Les libres, en VSD vendredi, où l’on suit quatre ex-détenus en processus de réinsertio­n profession­nelle.

En fait, il faut remonter à 2015 et au court métrage Entrevue avec un

homme libre, où les participan­ts à des entrevues d’embauche espèrent un nouveau départ : plusieurs sont passés par le système carcéral.

« Entre mes projets personnels, il arrive que je participe à des commandes, et sur l’une d’elles — un film d’entreprise — j’étais cameraman. L’entreprise était l’usine Stagem, spécialisé­e dans la transforma­tion du bois. J’ai passé trois jours là, et j’ai été témoin de simulation­s d’entrevues avec des gens qui se préparaien­t à réintégrer le marché du travail. Entrevue avec un homme libre est né de ça. Quand les gens de l’usine ont vu ce court métrage, puis son parcours [primé], ils en ont été très fiers », explique Nicolas Lévesque, à qui l’on doit aussi le documentai­re Chasseurs de phoques.

Grâce à ce lien de confiance d’ores et déjà établi avec le conseil d’administra­tion, le documentar­iste eut beau jeu de présenter un projet plus ambitieux de long métrage qui, à terme, nécessiter­ait une année de tournage à l’usine (par opposition à une seule journée pour le court).

« La formation chez Stagem dure six mois, et je voulais capter ça tout en sachant que tous ne terminaien­t pas nécessaire­ment le processus. Par contre, c’était clair pour moi que je voulais me concentrer sur quelqu’un qui le terminerai­t. J’ai beaucoup cherché, mais j’ai eu le champ libre presque tout de suite : après quelques jours, on m’a remis une clé passe-partout de l’usine. »

Objet de motivation

Or, c’était une chose d’avoir la confiance des patrons, c’en fut une autre de gagner celle des participan­ts. D’expliquer Nicolas Lévesque, la maison de transition où résidaient les participan­ts joua un rôle déterminan­t, lui signalant, par exemple, certains candidats potentiels au profil prometteur.

« Le directeur de la maison apprenait à connaître les résidents environ un mois avant leur arrivée. C’est lui qui a fait les premiers contacts. Par la suite, quand ils se sentaient prêts, les participan­ts potentiels m’appelaient et on apprenait à se connaître à notre tour. »

L’approche de Nicolas Lévesque dut en mettre plusieurs à l’aise d’entrée de jeu, Les libres s’en tenant exclusivem­ent au contexte de l’usine sans jamais chercher à revenir sur le passé des participan­ts. En somme, ce que le documentai­re fait, c’est regarder au présent des gens qui travaillen­t à améliorer leur futur. Bien sûr, tous n’y mettent pas la même conviction, une réalité que le film n’essaie pas d’édulcorer.

Rapidement, le projet est devenu important pour les participan­ts. Sachant cela, Nicolas Lévesque s’est senti une responsabi­lité supplément­aire. « On m’a fait remarquer assez tôt que pour certains, ça devenait un objet de motivation de plus dans la réussite de leur parcours. Samuel, qui est devenu le “personnage” principal, il m’appelait chaque semaine pendant le tournage. »

D’ailleurs, Nicolas Lévesque est demeuré en contact avec la plupart des participan­ts. « C’est toujours comme ça que j’ai envisagé la pratique documentai­re. On ne peut pas juste “prendre” : il faut donner en retour aussi. » À cet égard, on peut dire qu’il est allé à bonne école.

 ?? SPIRA FILMS ?? En un ingénieux effet miroir, c’est une usine de transforma­tion du bois qui accueille ces participan­ts du documentai­re Les libres, qui vivent eux-mêmes diverses transforma­tions.
SPIRA FILMS En un ingénieux effet miroir, c’est une usine de transforma­tion du bois qui accueille ces participan­ts du documentai­re Les libres, qui vivent eux-mêmes diverses transforma­tions.

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