Le colonialisme serait-il éternel ?
Un médecin à la défense des enfants autochtones malades qu’on déracine du Nord québécois
Le refus par le premier ministre François Legault de reconnaître la présence au Québec d’un racisme systémique, légué par des institutions séculaires, mais à l’insu de Québécois non racistes qui en subissent l’influence sournoise, trouble le médecin Samir Shaheen-Hussain. Il critique ce refus dans le récit de son expérience, une étude historique et un quasi-manifeste, le tout sous le titre percutant Plus aucun enfant autochtone arraché.
Pédiatre né de parents musulmans originaires d’Asie du Sud et rattaché à Montréal au Centre universitaire de santé McGill, le Dr Shaheen-Hussain s’attaque dans cet ouvrage, traduit de l’anglais par Nicolas Calvé, à ce qu’il appelle « le colonialisme médical canadien ». Il y dénonce le transport par avion-ambulance, sans accompagnement parental, d’enfants autochtones malades, déracinés du Nord québécois pour recevoir des soins pédiatriques à Montréal ou à Québec.
Cindy Blackstock, militante née en Colombie-Britannique au sein de la nation amérindienne gitxsan et spécialiste du travail social à McGill, signe la préface ; la Mohawk Katsi’tsakwas Ellen Gabriel, militante et artiste qui s’est illustrée durant la crise d’Oka (1990), la postface. Les deux appuient naturellement l’auteur, qui a pris part en 2018 au lancement de la campagne « Tiens ma main » pour, précise-t-il, « mettre un terme au transfert d’enfants seuls partout au Québec ».
Samir Shaheen-Hussain juge « coloniale », avec raison, la « pratique de non-accompagnement » et est consterné d’entendre, en 2018, Gaétan Barrette, alors ministre libéral de la Santé, reprendre pour la justifier le stéréotype de l’« Indien saoul et profiteur ». Il cite, en l’approuvant, Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, pour qui, cette annéelà, étaient « très présentes au coeur même » du gouvernement libéral « les racines très profondes » du racisme.
Si Samir Shaheen-Hussain est pleinement conscient de la profondeur du mal, il l’est moins de la complexité des relations identitaires. Pourquoi existerait-il une frontière imperméable et immuable entre les Autochtones du Nord, les Inuits comme les Eeyous (que nous appelions les Cris), et les Nord-Américains de lointaine souche européenne ?
Le colonialisme est-il sans fin ? Le poète américain Walt Whitman (1819-1892) ne le croyait pas lorsqu’il opposait ces vers à ceux de l’Europe colonisatrice : « Je fais don de moimême à la boue pour grandir avec l’herbe amoureuse, / Cherchez-moi sous vos semelles si vous voulez me retrouver. » Ce distique de Whitman dépasse la géographie, l’origine ethnique et la langue ancestrale pour insister sur l’esprit vagabond du Nouveau Monde.
C’est en partageant cet esprit qu’Inuits et Eeyous, dont Samir Shaheen-Hussain révèle l’humanité contagieuse, pourraient se rapprocher du reste de la société en participant, forts de leurs racines si profondes, à un universel ressourcement.