Le Devoir

Le poème à Réhel

Collaborat­eur Le Devoir

- Jean-Christophe Réhel

Le radio-oncologue me demande si je vais bien Je dis :

Ça va Je disparais dans le dosage du rayonnemen­t

J’ai 31 ans

J’annonce à ma famille que j’ai le cancer

Ma p’tite soeur pleure

Ma mère ne l’accepte pas Ça l’affecte plus que moi je pense Mon père me dit que je vais combattre ça les doigts dans le nez Il ajoute :

C’est le même cancer que Mario Lemieux

Ça me met de la pression

Je suis chanceux

Je réussis à me faire opérer juste avant la deuxième vague de la COVID

Ma blonde arrête de travailler Pendant le pire de mon traitement Je passe la moitié de ma vie à dormir

Je passe l’autre moitié dans une salle d’attente

Pendant des traitement­s de radiothéra­pie

Tous les jours

À la même heure

Je croise toujours les mêmes faces C’est presque rendu mes amis Des vieux amis

Jacques, Gaétan, Luc et Suzanne Ils me trouvent jeune d’avoir le cancer

Me trouve jeune itou

Tout le monde rit de mes blagues ici

Je commence de plus en plus à ressembler à Voldemort dans Harry Potter

C’est tellement fort ce qu’ils te donnent

Après trois jours

La moitié de mes cheveux sont tombés

Je me suis réveillé un matin Mon oreiller était un plancher de salon de coiffure

Les traitement­s n’arrêtent pas C’est intense

Je me fais tatouer

Des petits points sur le corps pour qu’ils enlignent leurs lasers

J’ai demandé :

Ça part après combien de lavage ?

Ils m’ont dit :

Ça ne part pas

C’est le principe d’un tatouage

J’ai répondu :

Ah OK

Durant chaque traitement On m’installe un masque Moulé à ma face

C’est pour ne pas que je bouge pendant la radiothéra­pie

Je fais dix-huit traitement­s

Je suis chanceux

Ça pourrait être plus

Le plus chiant ce sont mes médicament­s

La gestion des pilules

Je balance mon pilulier à bout de bras en avant de chez nous Ma blonde le cherche pendant deux jours dans un banc de neige Je parle au pharmacien avec des codes de couleurs

La pilule blanche en forme de maison

Je la déteste pour mourir

Elle m’empêche de dormir Elle me donne des hoquets interminab­les

Mon système reprend un peu plus Le retour au travail me stresse Je suis pompier

À mon retour

Je vais essayer d’avoir un poste de chauffeur

Peut-être donner de la formation dans les casernes

Je m’ennuie de mes collègues De la vie à la caserne

Je t’avoue que j’ai peur de remettre mon suit

Hier

Je suis allé marcher avec ma famille J’ai vu mon oncle

Quand t’as soixante-cinq ans Tu ne sais pas combien de temps Il te reste à vivre

Cette année-là est plus précieuse pour lui que pour moi

La valeur du temps quand t’es vieux est plus importante Mon oncle trouvait que la petite marche en famille

C’était un spectacle grandiose J’ai pas compris sur le coup Quand je suis revenu chez moi Ma blonde était devant la télé Quand elle m’a demandé comment s’était passée ma journée J’ai été honnête

J’ai répondu :

Comme un spectacle grandiose.

Dans la peau est une série mensuelle inspirée de témoignage­s de citoyens dont le quotidien est affecté par la pandémie.

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