Le Devoir

Le coeur en deux

- Manon Dumais

Entre 1946 et 1952, le Parti communiste italien et l’Union des femmes italiennes ont envoyé par train quelque 70 000 enfants pauvres du sud de l’Italie afin qu’ils soient logés, nourris, blanchis et instruits par des familles d’accueil du nord. Inspirée par ce fait méconnu, Viola Ardone a imaginé les répercussi­ons sur ces enfants de cette opération en la racontant à hauteur d’un gamin napolitain de sept ans, Amerigo Speranza, obsédé des chaussures ayant la bosse des maths.

« Ils vous reviendron­t plus en chair et plus beaux. Et vous serez récompensé­s des innombrabl­es efforts que vous aurez dû fournir jusque-là. Lorsque vous les serrerez de nouveau dans vos bras, vous aussi vous serez plus en chair et plus belles. »

À Modène, Amerigo est recueilli par Derma, valeureuse membre du parti. La jeune femme l’amène ensuite chez sa cousine Rosa, son mari Alcide, qui l’initie à la musique, et leurs trois fils aux drôles de noms : « Il dit comme ça, quand il les appelle tous les trois, ça fait un mot : Rivo-Luzio-Nario ! Révolution-naire ! »

Amerigo se plaît tant dans sa nouvelle famille qu’il en vient à craindre le moment où il devra retourner auprès de sa mère : « Tomassino a raison. On est coupés en deux, maintenant. »

Peuplé d’enfants débrouilla­rds errant dans les ruelles, où flottent des odeurs d’oignons frits, de femmes pittoresqu­es à qui la vie n’a pas fait de cadeau et d’hommes rustres marqués par la guerre, l’univers grouillant de vie que dépeint avec force détails Viola Ardone dans son troisième roman nous ramène à l’esprit des images fortes du néoréalism­e italien.

Comment ne pas reconnaîtr­e en Amerigo et son ami Tomassino les petits cireurs de chaussures de Sciuscià, de Vittorio de Sica ? Et comment ne pas vouloir prêter à la triste Antonietta, mère d’Amerigo, célibatair­e analphabèt­e gagnant maigrement sa vie avec ses travaux de couture, la beauté tragique d’Anna Magnani dans Rome, ville

ouverte, de Roberto Rosselini ? Teinté d’humour naïf, ponctué d’amusants mots d’enfants et de scènes cocasses, Le train des enfants n’en raconte pas moins un drame déchirant où se confronten­t la bienveilla­nce et la cruauté, la reconnaiss­ance et l’ingratitud­e, la vérité et le mensonge, la trahison et le pardon.

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1/2 Viola Ardone, traduit de l’italien par Laura Brignon, Albin Michel, Paris, 2021, 293 pages
Le train des enfants ★★★ 1/2 Viola Ardone, traduit de l’italien par Laura Brignon, Albin Michel, Paris, 2021, 293 pages

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