Le Devoir

La marâtre

- Manon Dumais

« Tout a changé après l’arrivée d’Andrea », note Danny Conroy, narrateur de La maison des Hollandais, d’Ann Patchett (Orange amère, 2019). À l’instar de Cendrillon et autres princesses orphelines de mère — celle des Conroy s’est exilée en Inde pour y faire de l’aide humanitair­e —, Danny et sa soeur aînée Maeve sont alors « devenus les personnage­s de l’épisode le plus terrifiant d’un conte de fées ».

Après la mort de leur père, plus soucieux de son travail que de sa progénitur­e, Andrea, seconde épouse du défunt et mère de deux fillettes nées d’une première union, flanque ses beaux-enfants, âgés de 23 et 15 ans, à la porte de leur somptueuse demeure, construite en banlieue de Philadelph­ie, dans les années 1920, par un couple hollandais.

Les Conroy n’auront droit qu’à un fonds d’études. Brillante mathématic­ienne devenue comptable, Maeve pousse Danny à devenir médecin afin qu’il ne reste plus d’argent lorsque viendra le tour de leurs belles-soeurs. Alors que les décennies passent, tous deux se garent régulièrem­ent devant la maison des Hollandais pour observer ce qui s’y passe.

« Vous vous prenez pour Hansel et Gretel ! Tu ne crois pas que vous avez passé l’âge de traverser la forêt toute noire en vous tenant par la main ? Vous n’en avez pas marre de ruminer le passé ? » lance Celeste à son mari Danny.

Saga familiale d’une étourdissa­nte chronologi­e morcelée et ponctuée de trop rares marqueurs de temps — « On était en 1968 et Columbia était en flammes » —, La maison des Hollandais cache derrière ses motifs de conte de fées et ses éléments gothiques, dont cette obsédante maison évoquant le manoir de Manderlay dans Rebecca, de Daphné Du Maurier, un récit de deuil doublé d’un récit de vengeance.

Or, si habile soit-elle à explorer les phases du deuil, Ann Patchett met dangereuse­ment à l’épreuve la patience du lecteur tandis que Maeve et Danny se complaisen­t dans leur marasme et fomentent leur vengeance durant des décennies. L’entêtement des deux personnage­s à vivre dans le passé en vient à contaminer le récit, qui paraît ainsi tourner en rond. Si cela contribue à créer une atmosphère ensorcelan­te comme celle des Hauts de Hurlevent, d’Emily Brontë, c’est pourtant en soupirant de soulagemen­t que l’on referme le livre.

 ??  ?? La maison des Hollandais ★★★
Ann Patchett, traduit de l’anglais (américain) par Hélène Frappat, Actes Sud, Paris, 2021, 311 pages
La maison des Hollandais ★★★ Ann Patchett, traduit de l’anglais (américain) par Hélène Frappat, Actes Sud, Paris, 2021, 311 pages

Newspapers in French

Newspapers from Canada